Odon von Horvath
FIGARO DIVORCE d'Odön von Horvath
Lendemains de révolution
[ 19/06/08 ]
Une subtile mise en scène de Jacques Lassalle pour une suite allemande au chef-d'oeuvre de Beaumarchais.
Comédie-Française, à Paris, tél. : 0825.10.16.80, en alternance jusqu'au 19 juillet. Texte français d'Henri Christophe et Louis
Le Goeffic chez Actes Sud-Papiers. Avec Michel Vuillermoz, Florence Viala, Bruno Raffaelli, Clotilde de Bayser.
Beaumarchais écrivit une suite à son « Mariage de Figaro », qui s'appelle « La Mère coupable ». L'écrivain allemand Odön von Horvath en imagina une autre, en 1936, « Figaro divorce ». Il situe l'action dans son temps, les années 1930, mais avec l'idée que la Révolution française vient d'avoir lieu et de chasser les aristos. Le comte Almaviva, sa femme et sa suite - le couple Figaro-Suzanne - ont pris la poudre d'escampette en Allemagne ; la vie y est dure. Personne n'a d'égards pour le comte ; Figaro préfère l'abandonner et ouvrir une boutique de coiffure dans un village bavarois. L'insolent valet s'embourgeoise, ce qui ne plaît pas à sa petite Suzanne, laquelle se laisse conter fleurette par un autochtone. La vie entre eux n'est plus possible. Figaro quitte sa femme.
On n'en reste pas là, car Horvath, ici fort bien traduit par Christophe et Le Goeffic, donne au théâtre une dimension romanesque. L'histoire bascule avec le retour des héros en France, du moins dans le pays indéfini où s'est produite la révolution qui les avait chassés. Figaro, qui aime de plus en plus le pouvoir et l'argent, devient administrateur du château qui appartenait au comte. Le voilà du côté de ceux qui persécutent les exilés errants. Deux vagabonds démunis frappent à la porte : le comte qui n'a plus un sou, Suzanne qui ne s'est pas remariée. La justice n'est plus de ce monde, mais l'amour peut-être...
Jacques Lassalle ne sait jamais faire courir une pièce ; celle-ci, il la ralentit un peu mais il détaille fort bien chaque tableau (et il y en a beaucoup, défilant sur un décor en tournette). Il cherche plus à rejoindre Horvath que Beaumarchais, et il a raison : on est bien loin du XVIIIe français ; la société est devenue mesquine et bureaucratique, l'amour est une petite lumière dans un ciel très noir.
Pessimisme et ressorts comiquesLe spectacle de Lassalle sait jouer avec ce pessimisme et ses ressorts comiques. Certains rôles sont interprétés en travesti (étonnant Loïc Corbery en juriste libidineuse) et Denis Podalydès, dans le rôle secondaire d'un nouveau riche, joue avec l'impayable drôlerie que l'on avait dans les films comiques de l'entre-deux-guerres. Chez tous les autres acteurs, la note est plus grave, mais aussi populaire et souvent fraternelle. Michel Vuillermoz est un merveilleux Figaro, compact et contradictoire. Florence Viala fait une Suzanne touchante sans sensiblerie. Bruno Raffaelli et Clotilde de Bayser sont des aristos blessés par l'Histoire. Leurs partenaires jouent plusieurs rôles, comme on dessine avec sûreté de petits croquis, à l'intérieur d'une soirée où tout nous est en même temps familier et inattendu.
GILLES COSTAZ