Dans la Libre Belgique....Yzeure de Jean-Jacques Brochier revisité par Jacques Santamaria
Ventre affamé n'a point d'oreilles
Karin Tshidimba
Mis en ligne le 25/09/2008
Entre gaullisme et pétainisme, il y avait aussi la très présente peur de la faim. Celle qui a, notamment, poussé à l'égoïsme absolu un petit couple sans histoire. Yolande Moreau rayonne et questionne dans "Villa Marguerite". France 3, 20h55.
Etienne et Adèle sont ravis. Après des années de labeur, ils peuvent enfin réaliser leur rêve : acheter un modeste pavillon dans une rue calme des environs de Moulins. Dotée d'un joli jardin, la Villa Marguerite HH H élargit encore l'horizon gastronomique du couple, ciment de leur union. Mais, bientôt, la guerre est à leur porte menaçant ce bonheur tranquille...
Le projet de Denis Malleval est "culotté" à plus d'un titre. Il propose, en effet, une façon relativement inédite de voir la guerre : à travers le regard de ceux, bien plus nombreux qu'on le croit, qui étaient résolus à ne pas s'en mêler. Aidés, dans ce cas, par le hasard qui a voulu qu'ils habitent en zone libre. Dans un pays qui a tendance à relire cette période historique sous la ligne de démarcation stricte entre gaullisme et pétainisme, le propos dérange, fait sourire et séduit.
Yolande Moreau et Luis Rego campent un couple attachant et hors du temps, uniquement préoccupés par le souci de "ne pas manquer " et se gardant bien de " se mêler de politique ". On pourrait croire à une manœuvre, à une stratégie finement élaborée mais il n'en est rien. Centrée sur les émissions musicales de leur poste de TSF, leurs petits dîners et leur jardin, leur vie est tout juste rythmée par leurs journées au bureau. Une vie de couple sans nuages et sans histoire bouleversée un jour par une arrestation sur dénonciation présumée.
En cette période troublée, leur vie aurait pu virer au drame mais une mystérieuse Marie Müller (Natacha Lindinger), visiteuse de prison, les tire de ce mauvais pas et les place sous sa protection. Commence alors un étrange ballet de victuailles et de bagages, l'arrivée des premières servant à détourner leur attention des seconds. De mois en mois, de voyages en demandes renouvelées, voilà les Grandclément hébergeant occasionnellement leur bienfaitrice sans jamais se préoccuper des "œuvres" au sujet desquelles elle s'affaire.
Ni remords ni regrets
Avec "Villa Marguerite", Jacques Santamaria tisse un scénario tout en nuances, se jouant avec volupté des mesquineries et des sous-entendus. Le tout tient à un fil : celui de la prestation impeccable de Yolande Moreau portée par le regard aimant de Luis Rego. Adaptée du roman de Jean-Jacques Brochier, l'histoire de ce couple dérange; elle a donc dormi longtemps dans les tiroirs avant qu'une boîte de production (Cinétévé) et une chaîne (France 3) l'en sortent définitivement.
Le projet a aussi un petit côté "Le festin de Babette" quotidien à cause de la passion qu'Adèle Grandclément nourrit pour la cuisine. Elle n'a pas son pareil pour tenter d'améliorer son ordinaire et s'endort souvent un livre de recettes à la main.
" Ventre affamé n'a point d'oreille s" dit-on; le couple d'Adèle et Etienne, vieillissant et sans enfant, illustre merveilleusement l'adage. Ne se préoccupant que de leurs desseins gastronomiques et rendus volontiers égoïstes par la crainte de la pénurie, ils se recroquevillent sur leur petit bonheur coupable.
Et ce qui devrait sauver Adèle (l'amour maternel qu'elle développe à l'égard de Marie " à qui elle doit tant ") est justement ce qui pourrait la perdre. " Il n'y a pas pire aveugle que celui qui ne veut pas voir " : la bêtise humaine peut se révéler presque sans limite, si ce n'est celle finalement touchante d'une amitié indéfectible...
Un rôle de naïve suprême dans lequel Yolande Moreau excelle. Un talent reconnu à sa juste valeur par le jury du Festival de fiction TV de La Rochelle (LLB du 22/9). Ajoutez à cela un quotidien banal filmé avec talent et imagination et vous obtenez un bijou noir, grinçant, dont vous nous direz des nouvelles...
Karin Tshidimba
Mis en ligne le 25/09/2008
Entre gaullisme et pétainisme, il y avait aussi la très présente peur de la faim. Celle qui a, notamment, poussé à l'égoïsme absolu un petit couple sans histoire. Yolande Moreau rayonne et questionne dans "Villa Marguerite". France 3, 20h55.
Etienne et Adèle sont ravis. Après des années de labeur, ils peuvent enfin réaliser leur rêve : acheter un modeste pavillon dans une rue calme des environs de Moulins. Dotée d'un joli jardin, la Villa Marguerite HH H élargit encore l'horizon gastronomique du couple, ciment de leur union. Mais, bientôt, la guerre est à leur porte menaçant ce bonheur tranquille...
Le projet de Denis Malleval est "culotté" à plus d'un titre. Il propose, en effet, une façon relativement inédite de voir la guerre : à travers le regard de ceux, bien plus nombreux qu'on le croit, qui étaient résolus à ne pas s'en mêler. Aidés, dans ce cas, par le hasard qui a voulu qu'ils habitent en zone libre. Dans un pays qui a tendance à relire cette période historique sous la ligne de démarcation stricte entre gaullisme et pétainisme, le propos dérange, fait sourire et séduit.
Yolande Moreau et Luis Rego campent un couple attachant et hors du temps, uniquement préoccupés par le souci de "ne pas manquer " et se gardant bien de " se mêler de politique ". On pourrait croire à une manœuvre, à une stratégie finement élaborée mais il n'en est rien. Centrée sur les émissions musicales de leur poste de TSF, leurs petits dîners et leur jardin, leur vie est tout juste rythmée par leurs journées au bureau. Une vie de couple sans nuages et sans histoire bouleversée un jour par une arrestation sur dénonciation présumée.
En cette période troublée, leur vie aurait pu virer au drame mais une mystérieuse Marie Müller (Natacha Lindinger), visiteuse de prison, les tire de ce mauvais pas et les place sous sa protection. Commence alors un étrange ballet de victuailles et de bagages, l'arrivée des premières servant à détourner leur attention des seconds. De mois en mois, de voyages en demandes renouvelées, voilà les Grandclément hébergeant occasionnellement leur bienfaitrice sans jamais se préoccuper des "œuvres" au sujet desquelles elle s'affaire.
Ni remords ni regrets
Avec "Villa Marguerite", Jacques Santamaria tisse un scénario tout en nuances, se jouant avec volupté des mesquineries et des sous-entendus. Le tout tient à un fil : celui de la prestation impeccable de Yolande Moreau portée par le regard aimant de Luis Rego. Adaptée du roman de Jean-Jacques Brochier, l'histoire de ce couple dérange; elle a donc dormi longtemps dans les tiroirs avant qu'une boîte de production (Cinétévé) et une chaîne (France 3) l'en sortent définitivement.
Le projet a aussi un petit côté "Le festin de Babette" quotidien à cause de la passion qu'Adèle Grandclément nourrit pour la cuisine. Elle n'a pas son pareil pour tenter d'améliorer son ordinaire et s'endort souvent un livre de recettes à la main.
" Ventre affamé n'a point d'oreille s" dit-on; le couple d'Adèle et Etienne, vieillissant et sans enfant, illustre merveilleusement l'adage. Ne se préoccupant que de leurs desseins gastronomiques et rendus volontiers égoïstes par la crainte de la pénurie, ils se recroquevillent sur leur petit bonheur coupable.
Et ce qui devrait sauver Adèle (l'amour maternel qu'elle développe à l'égard de Marie " à qui elle doit tant ") est justement ce qui pourrait la perdre. " Il n'y a pas pire aveugle que celui qui ne veut pas voir " : la bêtise humaine peut se révéler presque sans limite, si ce n'est celle finalement touchante d'une amitié indéfectible...
Un rôle de naïve suprême dans lequel Yolande Moreau excelle. Un talent reconnu à sa juste valeur par le jury du Festival de fiction TV de La Rochelle (LLB du 22/9). Ajoutez à cela un quotidien banal filmé avec talent et imagination et vous obtenez un bijou noir, grinçant, dont vous nous direz des nouvelles...