vendredi, septembre 26, 2008

Dans la Libre Belgique....Yzeure de Jean-Jacques Brochier revisité par Jacques Santamaria

Ventre affamé n'a point d'oreilles

Karin Tshidimba

Mis en ligne le 25/09/2008
Entre gaullisme et pétainisme, il y avait aussi la très présente peur de la faim. Celle qui a, notamment, poussé à l'égoïsme absolu un petit couple sans histoire. Yolande Moreau rayonne et questionne dans "Villa Marguerite". France 3, 20h55.

Etienne et Adèle sont ravis. Après des années de labeur, ils peuvent enfin réaliser leur rêve : acheter un modeste pavillon dans une rue calme des environs de Moulins. Dotée d'un joli jardin, la Villa Marguerite HH H élargit encore l'horizon gastronomique du couple, ciment de leur union. Mais, bientôt, la guerre est à leur porte menaçant ce bonheur tranquille...

Le projet de Denis Malleval est "culotté" à plus d'un titre. Il propose, en effet, une façon relativement inédite de voir la guerre : à travers le regard de ceux, bien plus nombreux qu'on le croit, qui étaient résolus à ne pas s'en mêler. Aidés, dans ce cas, par le hasard qui a voulu qu'ils habitent en zone libre. Dans un pays qui a tendance à relire cette période historique sous la ligne de démarcation stricte entre gaullisme et pétainisme, le propos dérange, fait sourire et séduit.

Yolande Moreau et Luis Rego campent un couple attachant et hors du temps, uniquement préoccupés par le souci de "ne pas manquer " et se gardant bien de " se mêler de politique ". On pourrait croire à une manœuvre, à une stratégie finement élaborée mais il n'en est rien. Centrée sur les émissions musicales de leur poste de TSF, leurs petits dîners et leur jardin, leur vie est tout juste rythmée par leurs journées au bureau. Une vie de couple sans nuages et sans histoire bouleversée un jour par une arrestation sur dénonciation présumée.

En cette période troublée, leur vie aurait pu virer au drame mais une mystérieuse Marie Müller (Natacha Lindinger), visiteuse de prison, les tire de ce mauvais pas et les place sous sa protection. Commence alors un étrange ballet de victuailles et de bagages, l'arrivée des premières servant à détourner leur attention des seconds. De mois en mois, de voyages en demandes renouvelées, voilà les Grandclément hébergeant occasionnellement leur bienfaitrice sans jamais se préoccuper des "œuvres" au sujet desquelles elle s'affaire.

Ni remords ni regrets

Avec "Villa Marguerite", Jacques Santamaria tisse un scénario tout en nuances, se jouant avec volupté des mesquineries et des sous-entendus. Le tout tient à un fil : celui de la prestation impeccable de Yolande Moreau portée par le regard aimant de Luis Rego. Adaptée du roman de Jean-Jacques Brochier, l'histoire de ce couple dérange; elle a donc dormi longtemps dans les tiroirs avant qu'une boîte de production (Cinétévé) et une chaîne (France 3) l'en sortent définitivement.

Le projet a aussi un petit côté "Le festin de Babette" quotidien à cause de la passion qu'Adèle Grandclément nourrit pour la cuisine. Elle n'a pas son pareil pour tenter d'améliorer son ordinaire et s'endort souvent un livre de recettes à la main.

" Ventre affamé n'a point d'oreille s" dit-on; le couple d'Adèle et Etienne, vieillissant et sans enfant, illustre merveilleusement l'adage. Ne se préoccupant que de leurs desseins gastronomiques et rendus volontiers égoïstes par la crainte de la pénurie, ils se recroquevillent sur leur petit bonheur coupable.

Et ce qui devrait sauver Adèle (l'amour maternel qu'elle développe à l'égard de Marie " à qui elle doit tant ") est justement ce qui pourrait la perdre. " Il n'y a pas pire aveugle que celui qui ne veut pas voir " : la bêtise humaine peut se révéler presque sans limite, si ce n'est celle finalement touchante d'une amitié indéfectible...

Un rôle de naïve suprême dans lequel Yolande Moreau excelle. Un talent reconnu à sa juste valeur par le jury du Festival de fiction TV de La Rochelle (LLB du 22/9). Ajoutez à cela un quotidien banal filmé avec talent et imagination et vous obtenez un bijou noir, grinçant, dont vous nous direz des nouvelles...

Maigret revisité par Jacques SantaMaria...

2003 - le centenaire de la naissance de Simenon

2003 est l'année du centenaire de la naissance de Georges Simenon, mort à 1989. À cette occasion, France 3 Bourgogne Franche-Comté diffusera ce samedi un documentaire inédit, réalisé par le Nivernais Jacques Tréfouël et écrit par Jacques Santamaria. À la manière d'une enquête policière, sur les traces de Simenon, le film éclairera les sept mois que l'écrivain à passés entre Nièvre et Allier.
Simenon, Maigret et le Marquis

Sept mois dans la vie d'un futur écrivain

« Chacun porte un roman en lui. Seulement, il n'en porte pas forcément d'autres. » Georges Simenon, qui aurait 100 ans cette année, en portait assez pour produire trois cent cinquante romans, traduits dans presque toutes les langues, sous dix-sept pseudonymes différents, pour vingt collections diverses, chez huit éditeurs. Désormais, il fait même partie des rangs de le Pléiade.
- France 3 -

Ce Simenon-là, il est bien connu. Mais dans son parcours de Liège à Paris, en passant par la Rochelle, l'Afrique, l'île de Porquerolles, New York et la Suisse, il est un fait moins populaire : De mai 1923 au printemps 1924, Georges Simenon travaille comme secrétaire au service du marquis Raymond d'Estutt de Tracy. À ce titre, il réside entre autre au château de Tracy-sur-Loire et à celui de Paray-le-Frésil, dans l'Allier. Mais aussi 7, rue Creuse à Nevers, où le marquis louait un appartement chez M. Pinet des Ecots. Sept mois dans la vie de Georges Simenon qui pourraient faire l'objet d'un roman parfait : un amour passionné et tout un mystère peuplé de rencontres fortes restées dans la mémoire de l'écrivain.
Garçon de bureau chez un écrivain aujourd'hui bien oublié, Binet-Valmer, Simenon sortait de ce poste peu propice grâce au marquis. Chez lui, il continue à écrire des petits contes pour les journaux galants à l'eau de rose. A cette époque, il est amoureux fou de sa première femme, Régine Renchon, qu'il a surnommé Tiggy. Mais le marquis de Tracy n'accepte pas que celle-ci les suive dans leurs pérégrinations de chasses à grandes réceptions. Les deux jeunes mariés se cachent pour se retrouver quand même. Simenon noircira alors jusqu'à dix lettres par jour pour Tiggy

C'est à cette époque aussi qu'il fera la connaissance d'un homme dont il gardera beaucoup de reconnaissance : Eugène Merle. Propriétaire d'un des journaux galants auxquels Simenon collaborait à l'époque, le Froufrou, il possédait aussi un grand quotidien qu'il venait de lancer, Paris-soir et encourageait Simenon dans sa vocation de romancier. Près d'un an après avoir rencontré le marquis de Tracy, Simenon quitte son poste de secrétaire. Commençant à vivre de sa plume, le jeune écrivain retournera vivre à Paris, mais n'oubliera jamais le monde de la noblesse rurale et les paysages du Nivernais et Bourbonnais qu'il recréera dans ses romans. Tracy-sur-Loire, « un tout petit village » dans « Le corps disparu », Maigret qui arrive à la gare de « Tracy-Sancerre » dans « M. Gallet, décédé », la rue de la Creuse à Nevers, siège du journal Paris-Centre dont le marquis était le propriétaire et auquel l'écrivain a livré quelques textes, rue qui se retrouve dans trois romans de Simenon « M. Gallét décédé », « Le Doigt de Barraquier » et « Les Suicidés ». La ville de Moulins qui sert de cadre pour « Les inconnus dans la maison » et héberge le lycée Banville dans lequel Maigret a effectué une partie de ses études. Et l'enquête de « L'Affaire Saint-Fiacre » qui conduit le commissaire sur le lieu de sa naissance. Saint-Fiacre dans le Bourbonnais n'est autre que la transcription du réel Paray-le-Frésil et l'on y trouve le grand domaine du « duc de T. ». Dans les communs du château demeure le secrétaire du marquis, un jeune homme au nom d'origine liégeoise, Jean Colin, qui ressemble fort à Simenon quand il était au service de Tracy. Et dans les dépendances du château, Simenon fait naître Maigret, fils du régisseur : « Le château, il le connaissait mieux que quiconque ! Surtout les communs ! Il lui suffisait de faire quelques pas pour apercevoir la maison du régisseur, où il était né » (Affaire Saint-Fiacre)
Le personnage fictif du père de Maigret est inspiré par le réel régisseur du château Paray-le-Frésil, Pierre Tardivon, originaire de Corbigny. Dans le documentaire, Henri Tardivon, son fils, donnera les preuves de cette enquête littéraire grâce à une lettre de Simenon décrivant l'admiration que ce dernier éprouvait à l'égard du régisseur du château de Paray-le-Frésil.
« L'excellente auberge » dans « Mémoires intimes » n'est autre que l'hôtel de l'Etoile de Saint-Thibault au bord de la Loire et près du pont où Simenon et sa femme pourrant passer quelques moments ensemble, et ce même hôtel revient sous le nom Hôtel de la Loire dans « M. Gallet décédé », cette fois-ci incluant un hôtelier nommé ... Tardivon. Et de nos jours, la réalité rejoint la fiction, puisque l'hôtel de l'Etoile s'appelle désormais de la Loire...

Sources : Magazine littéraire, N° 417 février 2003 : Sur les traces de Simenon
Jacques Tréfouël, réalisateur, producteur
Le documentaire Simenon, Maigret et le Marquis est une coproduction avec Les films du Lieu-dit, société de production, distribution et édition créée par Jacques Tréfouël à Saint-Bonnot, près de Prémery (Nièvre). Jeune producteur, mais réalisateur déjà expérimenté - il a sorti plusieurs documentaires qui constituent autant de témoignages sur la région. On y croise les flotteurs de bois, au Canal du Nivernais, un affichiste aux idées novatrices, Charles Loupot, les nourrices du Morvan ou, plus récemment un hommage à la tradition potière en Puisaye, autre documentaire réalisé en coproduction avec France 3 Bourgogne Franche-Comté.

Yzeure ? vers la rue des Fleurs ? Villa Marguerite

Villa Marguerite

[Téléfilm dramatique] de Denis Malleval

Origine : France

Durée : 1 heure 35 minutes

Sous-titrage malentendant (Antiope).

Stéréo

Musique : Jean Musy

Avec : Yolande Moreau (Adèle Grandclément), Luis Rego (Etienne Grandclément), Natacha Lindinger (Marie Muller), Gérard Chaillou (monsieur Bouchalois), Anne Plumet (madame Rouleau), Michèle Garcia (madame Bouchalois), Renaud Rutten (Gothard), Véronique Kapoian (la gardienne de cellule)
Le sujet

Dans les années 40 en France, un couple de fonctionnaires abrite bien malgré lui les activités illégales d'une trop généreuse visiteuse de prison.

Dans les années 40 près de Moulins, Etienne et Adèle Grandclément, un couple de petits fonctionnaires, sont sur le point de réaliser leur rêve en faisant l'acquisition de la «Villa Marguerite». Dans ce modeste pavillon, ils espèrent pouvoir mener l'existence paisible à laquelle ils aspirent et s'adonner à leur véritable passion : la bonne chère. Mais peu après, les Grandclément sont dénoncés pour avoir mangé une oie le 11 novembre. Incarcérés, ils rencontrent bientôt Marie Muller, une généreuse visiteuse de prison, qui les tire de ce mauvais pas. Elle fait bientôt livrer clandestinement toutes sortes de victuailles chez les Grandclément. Ceux-ci découvrent que Marie se livre en réalité à un trafic d'or et de dollars...
Plume-gris
La critique
Dans leur maison, la Villa Marguerite, nouvellement acquise aux environs de Moulins, Adèle et Etienne, un couple de petits fonctionnaires, sans enfant et sans histoire, assouvit sa passion pour la bonne chère, tout en écoutant le soir à la radio les chansons en vogue. Une existence simple et paisible, troublée quelques mois plus tard, par l'occupation allemande. En effet, les époux sont incarcérés après dénonciation pour avoir célébré le 11-Novembre en festoyant avec une oie... Mais grâce à l'intervention de Marie Muller, une belle inconnue, visiteuse de prison, ils seront tirés de ce mauvais pas...
Denis Malleval, le réalisateur, avait été récompensé en 2007 au Festival de la Fiction TV de La Rochelle pour «le Lien», une ?oeuvre retraçant les conséquences d'un épisode tragique de la Shoah. Adapté du roman éponyme de Jean-Jacques Brochier, «Villa Marguerite» est sublimé par l'interprétation remarquable du duo Yolande Moreau/Luis Rego. Le téléfilm évite, par bonheur, tout manichéisme.

Adèle et Etienne s'installent à Moulins...Villa Marguerite de Jean Jacques BROCHIER

CRITIQUE TELERAMA

1T
Téléfilm de Denis Malleval (France, 2008). Scénario : Jacques Santamaria, d'après le roman de Jean-Jacques Brochier. 95 mn. Inédit. Avec Yolande Moreau : Adèle. Luis Rego : Etienne. Natacha Lindinger : Marie.

Adèle et Etienne s'installent à Moulins, dans un pavillon coquet jouxtant la ligne de démarcation, en zone libre. Pour ce couple de petits fonctionnaires sans enfant qui se targue de ne pas faire de politique, la guerre est une affaire lointaine qui ne les concerne pas vraiment. Sauf, bien sûr, si elle les oblige à se serrer drastiquement la ceinture. Car Adèle et Etienne adorent se mettre à table. Gueuletonner, c'est le sel de leur vie calme et tranquille, voire leur raison de vivre. Mais un jour, le ciel leur tombe sur la tête : la police vichyssoise sonne chez eux, les arrête et les jette en prison... A travers ce ménage sans histoires, et qui n'en veut surtout pas, cette adaptation du livre éponyme de Jean-Jacques Brochier croque une France ni résistante ni collabo, préoccupée avant tout par la peur de manquer. Demeurant à la lisière de la comédie, le réalisateur Denis Malleval (Le Lien) se garde de s'en moquer. A son affaire lorsqu'il s'en tient à un huis clos rythmé par les rituels quotidiens, il perd de sa justesse quand il met en scène ce qui perturbe le douillet cocon (le personnage de la visiteuse de prison, qui prend de plus en plus d'importance, est moins convaincant). On salue en particulier la prestation bluffante de Yolande Moreau, qui rend attachant un personnage bien souvent à la limite de l'ectoplasme, égoïste, ne voulant pas voir ce qui menace son petit confort.

Marc Belpois

Marc Belpois

Télérama, Samedi 20 septembre 2008
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