vendredi, mai 18, 2007

A propos de la " Grande Beune"

Il aurait fallu que l’instituteur trouvât, comme les bêtes, à assouvir son ventre afin que son âme tourmentée se délivrât enfin pour trouver le repos. Mais ce rude désir animal ne s’apaisera jamais et le grand talent de Michon est de parvenir à le fondre au flux des saisons, au mouvement de la Terre, et à l’inscrire au cœur même du paysage. Un douloureux désir inavoué qui hante chaque ligne de ce récit, à l’érotisme retenu à la manière du meilleur Hardellet. Un court texte sorcier où chaque mot soupesé sert une exigence d’expression qui ne se dément jamais. Les livres de Michon sont rares, tous portés par l’impérieuse nécessité d’être écrits. Ils renvoient le tout-venant de la production éditoriale au rang de vain babillage. Ce roman, comme les précédents, démontre, s’il en était besoin, que les bonheurs d’écriture font ceux de la lecture.

Gérard Pussey, Elle, 5 février 1996.

Les souvenirs de Gérard Pussey... le neveu de René F

Les souvenirs de Gérard Pussey
L'enfant du paradis


Il a vraiment été le garçon le plus heureux de la terre et a eu la plus riche des enfances pauvres. A le lire aujourd'hui, on sent bien que ce bonheur-là n'est jamais retombé et qu'à 60 ans Gérard Pussey reste, pour toujours, un gamin émerveillé.
Né à Villeneuve-Saint-Georges d'un père ajusteur-outilleur aux usines Renault de Choisy-le-Roi et d'une mère sténodactylo à Paris (le premier communiste pur et dur, la seconde amoureuse de John Fitzgerald Kennedy), le petit Gégé, qui adorait ses parents, a eu la chance d'avoir une seconde mère et un père de substitution. A « Mamy Ward », la nourrice bourguignonne à l'oeil de verre et au coeur grand comme ça chez laquelle il fut placé à 6 mois, il a consacré, en 2003, un joli portrait sépia publié à la bien nommée Ecole des Loisirs. Et à son oncle maternel, l'écrivain René Fallet (1927-1983), auteur de « la Soupe aux choux » et scénariste de « Fanfan la Tulipe », il offre ici un hommage en noir et blanc, aussi allègre qu'un film de Marcel Carné.
Grâce à tonton René, en effet, le petit Gégé rend visite à Prévert dans son appartement de Montmartre où il enjambe les poèmes manuscrits qui jonchent le sol, voit Brassens vomir de trac dans les coulisses de Bobino, rencontre André Hardellet, Jean Carmet ou Michel Audiard. Dans sa soupente de la Bastille, l'auteur de « Paris au mois d'août » initie son neveu à Rimbaud, à Hemingway, au jazz et à la présence, dans le tiroir du bureau, d'un revolver élevé au rang de pharmacopée d'urgence. Au contact de ce romancier généreux qui forçait sur le whisky, le pastis et le beaujolais - «Autour de lui, l'air était inflammable, explosif» -, il sait qu'il sera un jour, lui aussi, malgré les espoirs de ses parents qui le rêvaient ingénieur et les doutes qui ne cesseront de l'assaillir, un écrivain, «un petit dieu païen et fantaisiste».
Gérard Pussey tient les livres pour des gris-gris dont la vertu est d'exorciser «le néant qui, chaque jour, fond sur nous». C'est le cas d'« Au temps des vivants », cette épopée intime peuplée de morts très vivants où chacun trouvera de bonnes raisons de ne pas désespérer. Et de relire, santé !, Fallet l'oublié.

«Au temps des vivants», par Gérard Pussey, Fayard, 324 p., 17 euros.


Jérôme Garcin
Le Nouvel Observateur - 2213 - 05/04/2007