Le Monde: Le conseil général de la Loire attaque le cinéaste Eric Rohmer
Justice Une assignation en référé pour "dénigrement"
Inspiré du roman pastoral d'Honoré d'Urfé, Les Amours d'Astrée et de Céladon, du cinéaste Eric Rohmer, âgé de 87 ans, déclenche une tempête dans les terres de l'écrivain, les plaines du Forez. Le conseil général de la Loire a en effet assigné en référé pour "dénigrement" Rezo Films, producteur et distributeur de ce long-métrage sorti le 5 septembre. L'ancien garde des sceaux, Pascal Clément (UMP), président du conseil général de la Loire, a fait déposer ce référé devant le tribunal de grande instance de Montbrison (Loire), qui l'examinera mercredi 26 septembre. M. Clément veut obtenir la suppression d'un avertissement projeté au début du film, sélectionné à la Mostra de Venise.
Le passage incriminé est le suivant : "Malheureusement, nous n'avons pas pu situer cette histoire dans la région où l'avait placée l'auteur ; la plaine du Forez étant maintenant défigurée par l'urbanisation, l'élargissement des routes, le rétrécissement des rivières, la plantation des résineux. Nous avons dû choisir ailleurs en France, comme cadre de cette histoire, des paysages ayant conservé l'essentiel de leur poésie sauvage et de leur charme bucolique."
Dans son assignation, le conseil général, élus de gauche compris, demande la suppression des "mentions fallacieuses et préjudiciables" de ce texte, selon lesquelles la Bâtie d'Urfé, le château familial de l'auteur, serait entourée "d'autoroutes et d'usines". Selon l'avocat du conseil général, Me Christian Bernard, son client "fait des efforts énormes de promotion touristique et de protection des espaces naturels - la plaine du Forez étant classée Natura 2000, un label réservé aux sites écologiques - réduits à néant par ce genre d'affirmation. C'est aussi ridicule que de dire qu'il y a des champs de blé sur les Champs-Elysées". L'avocat assure qu'il y a "des feuillus et pas de résineux", et "en aucun cas des HLM près de la Bâtie d'Urfé". Querelle de clochers ? Avertissement maladroit ? Récupération politique ? Un peu de tout cela.
"VÉRITÉ DES LIEUX"
Tout a démarré samedi 15 septembre : à la Bâtie d'Urfé, Pascal Clément remettait au nom du conseil général de la Loire, chargé de la gestion du château, le prix du roman d'amour Honoré d'Urfé à Janine Sabatier. Le film était ensuite projeté devant les élus au cinéma de Boën-sur-Lignon, fâchant certains d'entre eux. Lucien Moullier, le maire de la commune, conseiller général socialiste, soutient la démarche de M. Clément.
Selon Françoise Etchegaray, bras droit d'Eric Rohmer, " les politiques instrumentalisent la justice pour se faire mousser". Jean-Michel Rey, gérant de Rezo Films, juge l'assignation "grotesque". "C'est l'oeuvre d'Eric Rohmer que l'on attaque", déplore-t-il, même s'il juge "un peu maladroit" l'avertissement incriminé.
Eric Rohmer précise : "Dans mes tournages, je suis très attentif en général à la vérité des lieux, mais s'il faut choisir entre celle-ci et la beauté, naturellement, en tant qu'artiste, c'est pour cette dernière que je dois opter. Le cinéma est un art, et c'est moi seul qui juge des choses que je dois filmer. Si j'ai écrit ce préambule qui vous choque, c'est par pur souci d'honnêteté à l'égard des spectateurs locaux et des touristes, qui pourraient être étonnés de trouver dans ce film des lieux différents de ceux qui sont mentionnés dans le roman."
Le Lignon, petit affluent de la Loire, n'a plus grand-chose à voir, aux yeux de Françoise Etchegaray, avec cette "délectable rivière" du roman d'Urfé : "L'eau m'arrivait à mi-mollet, il était inconcevable d'y tourner le suicide de Céladon, emporté par les flots", précise-t-elle. Quant à la Bâtie d'Urfé, elle a été recouverte de crépi. Pendant plus de trois ans, Eric Rohmer a cherché une rivière. Il a jeté son dévolu sur la Sioule, dans l'Allier. "Au cours de (cette) recherche, qui ne préjugeait pas au début de l'abandon du Forez pour le reste du film, nous avons trouvé des paysages d'une beauté plus franchement pastorale" que celle de la Loire. Dans l'Allier et en Sologne.
Nicole Vulser
Inspiré du roman pastoral d'Honoré d'Urfé, Les Amours d'Astrée et de Céladon, du cinéaste Eric Rohmer, âgé de 87 ans, déclenche une tempête dans les terres de l'écrivain, les plaines du Forez. Le conseil général de la Loire a en effet assigné en référé pour "dénigrement" Rezo Films, producteur et distributeur de ce long-métrage sorti le 5 septembre. L'ancien garde des sceaux, Pascal Clément (UMP), président du conseil général de la Loire, a fait déposer ce référé devant le tribunal de grande instance de Montbrison (Loire), qui l'examinera mercredi 26 septembre. M. Clément veut obtenir la suppression d'un avertissement projeté au début du film, sélectionné à la Mostra de Venise.
Le passage incriminé est le suivant : "Malheureusement, nous n'avons pas pu situer cette histoire dans la région où l'avait placée l'auteur ; la plaine du Forez étant maintenant défigurée par l'urbanisation, l'élargissement des routes, le rétrécissement des rivières, la plantation des résineux. Nous avons dû choisir ailleurs en France, comme cadre de cette histoire, des paysages ayant conservé l'essentiel de leur poésie sauvage et de leur charme bucolique."
Dans son assignation, le conseil général, élus de gauche compris, demande la suppression des "mentions fallacieuses et préjudiciables" de ce texte, selon lesquelles la Bâtie d'Urfé, le château familial de l'auteur, serait entourée "d'autoroutes et d'usines". Selon l'avocat du conseil général, Me Christian Bernard, son client "fait des efforts énormes de promotion touristique et de protection des espaces naturels - la plaine du Forez étant classée Natura 2000, un label réservé aux sites écologiques - réduits à néant par ce genre d'affirmation. C'est aussi ridicule que de dire qu'il y a des champs de blé sur les Champs-Elysées". L'avocat assure qu'il y a "des feuillus et pas de résineux", et "en aucun cas des HLM près de la Bâtie d'Urfé". Querelle de clochers ? Avertissement maladroit ? Récupération politique ? Un peu de tout cela.
"VÉRITÉ DES LIEUX"
Tout a démarré samedi 15 septembre : à la Bâtie d'Urfé, Pascal Clément remettait au nom du conseil général de la Loire, chargé de la gestion du château, le prix du roman d'amour Honoré d'Urfé à Janine Sabatier. Le film était ensuite projeté devant les élus au cinéma de Boën-sur-Lignon, fâchant certains d'entre eux. Lucien Moullier, le maire de la commune, conseiller général socialiste, soutient la démarche de M. Clément.
Selon Françoise Etchegaray, bras droit d'Eric Rohmer, " les politiques instrumentalisent la justice pour se faire mousser". Jean-Michel Rey, gérant de Rezo Films, juge l'assignation "grotesque". "C'est l'oeuvre d'Eric Rohmer que l'on attaque", déplore-t-il, même s'il juge "un peu maladroit" l'avertissement incriminé.
Eric Rohmer précise : "Dans mes tournages, je suis très attentif en général à la vérité des lieux, mais s'il faut choisir entre celle-ci et la beauté, naturellement, en tant qu'artiste, c'est pour cette dernière que je dois opter. Le cinéma est un art, et c'est moi seul qui juge des choses que je dois filmer. Si j'ai écrit ce préambule qui vous choque, c'est par pur souci d'honnêteté à l'égard des spectateurs locaux et des touristes, qui pourraient être étonnés de trouver dans ce film des lieux différents de ceux qui sont mentionnés dans le roman."
Le Lignon, petit affluent de la Loire, n'a plus grand-chose à voir, aux yeux de Françoise Etchegaray, avec cette "délectable rivière" du roman d'Urfé : "L'eau m'arrivait à mi-mollet, il était inconcevable d'y tourner le suicide de Céladon, emporté par les flots", précise-t-elle. Quant à la Bâtie d'Urfé, elle a été recouverte de crépi. Pendant plus de trois ans, Eric Rohmer a cherché une rivière. Il a jeté son dévolu sur la Sioule, dans l'Allier. "Au cours de (cette) recherche, qui ne préjugeait pas au début de l'abandon du Forez pour le reste du film, nous avons trouvé des paysages d'une beauté plus franchement pastorale" que celle de la Loire. Dans l'Allier et en Sologne.
Nicole Vulser