Témoignage de Léon Porzycki
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Mon père était arrivé à La Souterraine en novembre 1941 dans la voiture d'un inspecteur de police de Paris. Pourquoi La Souterraine ? Tout simplement, un ami de mon frère aîné et ses parents y étaient et nous avaient dit que la ville était hospitalière. Ma mère, mes deux frères, ma sœur et moi l'avons rejoint le 1er janvier 1942. Bien qu'ayant 9 ans, je me souviens que, sur le parcours jusqu'à la gare d'Austerlitz, je souriais aux agents de police pour ne pas attirer leur attention. Après avoir traversé le Cher à Vierzon, à l'aide d'un passeur aidé d'une équipe pour retenir une patrouille allemande, nous avons donc rejoint mon père. Il avait rapidement trouvé du travail en réparant les montres que lui remettaient les bijoutiers-horlogers Génébrias, Chastagnier et Noël. Jusqu'alors ceux-ci devaient les envoyer à Guéret. A notre arrivée, il y avait déjà plusieurs familles juives. Après la rafle du Vel d'Hiv. à Paris, en juillet 1942, d'autres sont arrivées dont la famille de celle qui, plusieurs années plus tard, devait devenir mon épouse et dont le frère avait rejoint la lère Armée française en Afrique à l'âge de 17 ans. J'ai mené à La Souterraine' une vie presque normale d'un enfant de 10 ans bien que le danger était toujours présent : l'arrestation des hommes juifs, de nationalité étrangère, par la gendarmerie locale, les nombreuses nuits passées avec les autres juifs chez Madame Rose, réfugiée dans une maison forestière lorsqu'il y avait danger.
Le premier semestre 1943, j'étais interne avec un de mes frères à la B.D.H. où M. Robert, directeur de l'école, à la demande de nos parents, nous avait accueillis avec courage et abnégation malgré le danger que son acte représentait pour lui.
Pendant six mois, nous n'avons pratiquement pas vu nos parents bien que de l'école nous apercevions la maison. Cela était trop dangereux.
Il y avait d'autres élèves juifs réfugiés à la B.D.H.. Ma sœur était interne à la B.D.B. pendant cette même période. Mlle Grande, professeur à la B.D.B., nous avait d'ailleurs accueillis avec ma sœur et ma grand-mère pendant une quinzaine de jours.
Mon frère aîné, âgé de 16 ans, était parti travailler en Savoie où, jusqu'à l'occupation allemande de la zone sud, les soldats italiens protégeaient les juifs.
Alors que le gouvernement de Pétain, la milice et les nombreux collaborateurs bafouaient la France, de nombreux habitants nous ont aidés. Qu'ils trouvent ici l'expression de notre gratitude. Sans La Souterraine, nous aurions peut-être disparu comme tout le reste de notre famille qui n'est pas revenu de déportation après la guerre.
Une action est en cours pour que M. Robert, Directeur de la B.D.H., trouve sa place dans l'Allée des justes à Yad Vachem à Jérusalem. A travers lui, ce sont les autres habitants de La Souterraine, qui nous ont aidés, qui s'en trouveront honorés.
Bull. de l'Amicale des Anciens Elèves des Ecoles Publiques de La Souterraine, n° 35 bis, 1999, p. 14-15