samedi, janvier 26, 2008

" Si tu veux faire des pezettes, installe-toi sur la Nationale 7 ",

La table PIC a reconquis son troisième macaron
[ 09/03/07 - Série Limitée N° 051 ]









L'édition 2007 du Guide Michelin vient de redonner sa troisième étoile au restaurant Pic à Valence. Parrainée par Paul Bocuse, Anne-Sophie est la première femme depuis quarante ans à obtenir cette distinction. Ce chef talentueux renoue avec les fastes de ses père et grand-père.


Anne-Sophie Pic sert une cuisine de terroir mêlée de subtiles associations.
Mince et menue dans sa tenue blanche portée sur un jean, elle dégage une énergie qui déplacerait des montagnes. Anne-Sophie Pic, 37 ans, s'active sans cesse en cuisine, et préfère d'ailleurs le titre de " cuisinière " à celui de chef. Parce qu'elle ne se met jamais en avant et qu'elle a choisi de laisser parler ses plats : sublime saint-jacques rôtie avec des spaghettinis à la truffe noire, cernée d'une mousse de lait au rhum. Ou cet étonnant bar aux oignons confits et caramel dont le beurre est monté au vin jaune. " La cuisine s'est féminisée, l'esthétique est valorisée dans la recherche des matières et des couleurs, ce sont des saveurs subtiles ", dit-elle, avant d'ajouter qu'" une femme cuisine naturellement pour les autres, mais que toutes ne recherchent pas l'excellence absolue ". Indirectement, ce qui correspond bien à sa nature, elle indique qu'elle s'est, quant à elle, fixé la barre au plus haut. Comme si elle avait une revanche à prendre.
Anne-Sophie Pic est entrée en cuisine par des voies détournées. Enfant, elle " joue à la cuisine ", comme d'autres à la poupée. Mais c'est son frère Alain, de dix ans son aîné, qui est destiné à reprendre l'affaire familiale. Une institution, plus qu'un restaurant. Un des hauts lieux de la gastronomie française aux côtés de Dumaine à Saulieu et Point à Vienne. Mais une institution fragile, toujours soumise aux foudres du Michelin qui inflige aux chefs une pression permanente. " Je ne voyais mes parents que le dimanche soir et le mercredi et je ne voulais pas de cette vie. J'avais mis une croix sur la restauration ", se souvient Anne-Sophie. Jacques Pic a donc envoyé son fils pour un parcours initiatique auprès de ses confrères, chez Paul Haeberlin, en Alsace, et Claude Peyrot, à Paris. Sa fille, elle, s'oriente vers le commerce et collectionne les diplômes : Institut supérieur de gestion (ISG), Manhattan Institute of Management à New York et un autre à Tokyo. Elle multiplie les stages et les missions chez Cartier et Moët & Chandon. " Cette formation marketing m'a beaucoup aidée, mais on n'échappe pas à son destin. " La passion pour la cuisine était trop forte. En 1992, elle revient à Valence travailler aux côtés de son père. Il décède brusquement dix jours plus tard.
Comme chez Troisgros à Roanne, le flambeau revient au fils. Anne-Sophie sent qu'elle n'a pas sa place devant les fourneaux. Elle laisse le premier rôle à son frère et se concentre sur la partie hôtelière avec son mari, David Sinapian, rencontré sur les bancs de l'ISG à Paris. Ils savent que le chiffre d'affaires d'un grand restaurant se réalise en salle, mais que la marge se fait dans les chambres. Celles-ci passent de cinq à quinze et offrent désormais une étape à la hauteur du label Relais & Châteaux.
Sourires entendus et regards en coin
Alain Pic paraît vite écrasé par le poids de la succession au piano. La partition ne se renouvelle pas et la mise en musique laisse à désirer. En 1995, la sanction tombe, le Guide Michelin lui enlève la troisième étoile si durement conquise par son père vingt-deux ans plus tôt. L'heure Anne-Sophie a sonné. Elle revient en cuisine. " J'ai remis la veste blanche, mais cette fois-ci, j'étais bien décidée à ne plus la quitter ", souligne-t-elle. La jeune femme tient bon malgré les sourires entendus et les regards en coin à l'égard de celle qui débute. Être à la fois apprentie et patron n'est pas chose facile, mais son caractère se révèle. " Jean-Marc, le chef poissonnier, qui était le bras droit de mon père et qui m'accompagnait autrefois à l'école, m'a beaucoup soutenue. Mon frère aîné m'a également permis de m'épanouir en me laissant exprimer ma créativité ", confie-t-elle. L'imagination est en train de prendre le pouvoir alors qu'Alain se contentait de répéter le répertoire familial, le loup au caviar du père ou le chausson aux truffes du grand-père. " Alain est un excellent cuisinier, mais dans la continuité ", confirme David Sinapian, le beau-frère. Ce n'est pas le meilleur moyen de retrouver les faveurs des caciques de l'avenue de Breteuil, siège du fameux Guide Michelin. Deux capitaines dans un bateau, cela fait toujours un de trop. Le fragile tandem constitué par le frère et la soeur finit par casser en 1998. Cette fois, c'est Alain qui cède le terrain à sa soeur libérée mais désemparée.
Elle est seule à la barre et la clientèle locale n'apprécie pas. " Nous étions au bord du dépôt de bilan, comme après la perte de la troisième étoile. " Anne-Sophie et David font face. " Si vous n'êtes pas capable d'un peu de sorcellerie, ce n'est pas la peine de vous mêler de cuisine ", écrivait Colette dans Prisons et Paradis. Anne-Sophie Pic n'a rien d'une mauvaise fée et elle saura trouver la bonne potion pour relancer la maison. Encouragée par sa mère Suzanne, elle innove et invente : le pigeon en croûte de noix, par exemple, qu'elle n'hésite pas à retirer du menu " avant que les amateurs se lassent ". Anne-Sophie change d'ailleurs totalement sa carte au moins deux fois par an. " Elle sait remettre en cause ce qui marche, et c'est là son secret ", estime Jean-François Piège, le chef doublement étoilé des Ambassadeurs, de l'Hôtel Crillon à Paris, originaire lui aussi de Valence. Tous deux ambitionnent, et méritent, ce troisième macaron, mais elle semble mieux placée que lui. Sans doute parce que le temps des femmes est arrivé et qu'il n'y a plus de Française avec trois étoiles depuis que la Mère Brazier a perdu les siennes à Lyon, en 1968. À Paris, Hélène Darroze peut prétendre aux mêmes lauriers. Qu'est-ce qui pourrait donc bien jouer en faveur de la " dame de Pic " aux yeux des juges de paix du Michelin ? La reconnaissance d'une certaine continuité, sûrement. Son grand-père, André, n'avait-il pas déjà trois étoiles en 1934, au Café du Pin, à Saint-Péray, en Ardèche, créé par sa mère Sophie ? " Pic au Pin " disait-on alors, pour vanter la bonne auberge, avant qu'il s'installe à Valence deux ans plus tard. " Si tu veux faire des pezettes, installe-toi sur la Nationale 7 ", assurait alors le dicton.
Après la guerre, le restaurant ferme et son fils Jacques devra remonter un à un tous les échelons pour reconquérir, en 1973, les précieux macarons. " Je ne suis pas une héritière ", se défend Anne-Sophie Pic, qui ne désavouerait pas ce proverbe chinois : " L'expérience est une lanterne qui n'éclaire que celui qui la porte. "
La Provence et le Japon dans l'assiette
Alors il faut chercher ailleurs les raisons de ce succès culinaire à recommencer à chaque service. On ne peut pas expliquer la réussite d'Anne-Sophie Pic sans évoquer le bienveillant parrainage de Paul Bocuse. À 81 ans, le patriarche a pris la jeune chef sous son aile. C'est dans son auberge de Collonges qu'elle a fêté autrefois ses 18 ans et, en 2005, le baptême de son fils Nathan. Ami de la famille, le " primat des gueules " voit en elle " la Mère Brazier du xxe siècle ". Son statut de " faiseur de roi " dans la gastronomie française lui permet de faire couronner une reine. Il en rêve, mais elle garde la tête froide et met tout en oeuvre pour ne pas rater le rendez-vous. Nommée l'an dernier " Espoir trois étoiles ", elle décide de supprimer trente couverts. " Nous n'en avons gardé que cinquante pour avoir des cuissons plus précises et un service plus rythmé ", explique-t-elle, toujours en quête de perfection. Sa cuisine, que l'on pourrait qualifier de provençale par ses ingrédients et japonisante pour la présentation, a aussi gagné en émotions. Elle le vérifie chaque jour en salle lorsqu'elle fait le tour des tables d'un petit pas pressé, avec un sourire pour chacun. Anne-Sophie ou l'honneur retrouvé de la famille Pic.

Maison Pic, 285, avenue Victor Hugo, 26000 Valence. Tél. : 04 75 44 15 32. www.pic-valence.com
À lire : Anne-Sophie Pic, Au nom du père, éditions Glénat.

Dabs Les EChos : Henri Vergne, originaire du Cantal, avait repris ce café-charbon en 1954

AU SAUVIGNON
Il y a quelque chose d'éternel dans ce bistrot où les habitués du quartier ont toujours vu servir des casse-croûte au pain Poilâne. Henri Vergne, originaire du Cantal, avait repris ce café-charbon en 1954. Les premières tartines Poilâne apparaissent dès 1955. Aujourd'hui encore, les charcuteries viennent toujours de chez Rouget, à côté d'Aurillac, le foie gras de chez Monsieur Lapeyrie, à Mansac, et les fromages sont choisis et affinés par Barthélemy, rue de Grenelle. Des fresques gauloises - voire un peu grivoises - couvrent les murs et le plafond de cet établissement où rôde le souvenir de Serge Gainsbourg, d'Éric Cantona et de Brigitte Bardot du temps de sa splendeur. Avec la boulangerie Poilâne, le Sauvignon est le dernier vestige d'un quartier qui fut populaire avant d'être bobo. Au Sauvignon, 80, rue des Saints-Pères, 75007 Paris. Tél. : 01 45 48 49 02.


PIERRE RIVAL