dimanche, juillet 25, 2010

Discours de Christine Albanel prononcé à l’occasion de la remise des insignes de Chevalier dans l’ordre national de la Légion d’Honneur à Kader Belarbi, danseur et chorégraphe-Lundi 27 avril 2009

Discours de Christine Albanel prononcé à l’occasion de la remise des insignes de Chevalier dans l’ordre national de la Légion d’Honneur à Kader Belarbi, danseur et chorégraphe
Lundi 27 avril 2009
Cher Kader Belarbi,
C’est avec émotion que je vous rends hommage aujourd’hui. L’émotion de tous ceux qui vous ont vu danser, car, au pays des étoiles, cher Kader Belarbi, vous êtes l’une des plus impressionnantes. Par votre élégance, par votre puissance d’interprétation, par votre présence exceptionnelle.
Né de racines multiples, au croisement des cultures, tout en vous sublime les contrastes. Votre virtuosité, vos explorations artistiques, votre sensibilité sereine, votre regard grand ouvert sur le monde.
De la danse, dont vous avez été un génie précoce, entré à l’âge de 13 ans à l’école de l’Opéra de Paris, vous dites pourtant que vous l’avez rencontrée sur le tard… A 19 ans. Quand, selon vos mots, il vous apparaît soudain qu’elle est « bien autre chose que de réussir des pas ».
Quand, pour vous, devenir danseur, revient désormais à engager sa vie.
Cet éveil à la danse, cet envol devrais-je dire, se lie à une rencontre – forte, décisive – avec Rudolf Noureev.
Lorsqu’il arrive à l’Opéra de Paris, celui qui clamait que « chaque pas doit porter la marque de son sang » bouleverse votre rapport à la danse. Devant ce mythe, mais surtout devant sa flamme et son humilité, vous sentez que la danse n’a rien d’un métier. Qu’elle est un mode de vie et qu’il sera le vôtre désormais.
Dès lors, tout s’accélère. En 1985, Noureev vous confie le rôle de l’élu dans le Sacre du Printemps de Maurice Béjart… Premier grand rôle et rôle prémonitoire puisqu’en 1989, vous êtes nommé danseur étoile à l’issue d’une représentation de la Belle au Bois Dormant. Vous recevez également, cette même année, le prix Nijinski.
Dès lors, d’une certaine façon, tout commence. Vous irradiez les grands ballets du répertoire de Roméo et Juliette à Don Quichotte en passant par le jeune homme et la mort. Mais votre modernité, votre sens du jeu et de l’interprétation vous mènent aussi vers les grands chorégraphes contemporains : Mats Ek, Carolyn Carlson, Pina Bausch, Jérôme Robbins ou William Forsythe. Car là est votre marque également : dans ce balancement, entre la danse classique et la danse contemporaine. Vous le dites d’ailleurs, votre plus grand bonheur de danseur fut de danser Gisèle, votre ballet préféré, dans sa version classique et dans sa version contemporaine conçue par Mats Ek.
Inlassable dans l’effort et dans le dépassement de soi, vous enchaînez les défis. Votre puissance de travail impressionne ; votre flamme aussi. Sur scène, vous réconciliez l’ombre et la lumière, la rigueur extrême et la décontraction apparente, vous cherchez le geste juste et pourtant libre, quelque chose à la fois de flottant et de maîtrisé. L’équilibre de la grâce et de la vie, d’une certaine façon. Ce fil ténu, c’est celui sur lequel vous dansez, mais il est aussi celui de vos chorégraphies. Etre chorégraphe, pour vous, c’est éveiller et offrir : « offrir une idée, un esprit, un point de vue et évidemment une danse ».
Vous nous avez ainsi offert près d’une vingtaine de créations, qui sont autant d’explorations : Salles des pas perdus, Les Saltimbanques, Les Hauts de Hurlevent en 2002 pour le ballet de l’Opéra de Paris, Les Epousés en 2004 pour Nicolas Le Riche et Wilfried Romoli… Il m’est impossible de les citer toutes, mais, toutes, elles disent votre envie de découvrir et de dialoguer avec les danses et les mondes – du classique au hip-hop, de l’Europe à la Chine, où vous créez Entrelacs, de la France à l’Algérie, évoquée dans le magnifique Sélim que vous créez avec le chorégraphe Michel Kéléménis.
Vous êtes, cher Kader, un créateur, au sens fort du terme, et un artiste complet. Vous peignez avec un talent rare, vous dévorez la musique, sans laquelle vous ne pourriez vivre… Vous inventez sans cesse… Difficile, dans votre cas, de parler de « retraite ».
Certes, l’an dernier, vous avez fait vos adieux officiels à la scène dans Signes, le ballet de Carolyn Carlson. Ce fut un moment inoubliable, marqué par une interminable ovation comme vouée à vous retenir.
Certes, vous le dites, dans la danse « on est vieux trop tôt et intelligent trop tard ».
Mais rien ne s’est arrêté, pour notre plus grand bonheur. Tout votre talent, tout votre amour de la danse, vous les tournez aujourd’hui vers la création et la transmission. L’an dernier, vos projets vous ont emmené du Portugal à la Cité Interdite. Parfois, vous reprenez votre costume de danseur pour quelques représentations exceptionnelles. L’an prochain, surtout, vous travaillerez avec le Ballet du Capitole de Toulouse, avec la scène nationale de Chalons-en-Champagne, avec le Conservatoire supérieur de Toulouse…
Cher Kader, une nouvelle vie a d’ores et déjà commencé. Elle réserve encore à la danse, elle nous réserve encore, de très grandes et belles heures.
Au cœur de cette vie, il y a, et je tiens à les saluer, votre femme, Laure, elle-même danseuse à l’Opéra, vos enfants, Quentin, Marie et celui que porte votre femme et qui naîtra fin juin.
Cher Kader Belarbi, je suis particulièrement heureuse de rendre hommage au danseur et chorégraphe exceptionnels que vous êtes. A l’homme d’art et de vie.
Kader Bélarbi, au nom du Président de la République et en vertu des pouvoirs qui nous sont conférés, nous vous faisons chevalier dans l’Ordre de la Légion d’Honneur.