lundi, mars 14, 2011

Voyage au coeur de la haute couture du charolais....

 

Chez les Livrozet, on est chevillard de père en fils dans l'Allier. Depuis plus de vingt ans, Jean-Luc entretient la tradition familiale, celle du commerce de viandes d'exception. Voyage au coeur de la haute couture du charolais.

Le rendez-vous est immuable. Indéboulonnable. 152 ans que ça dure. Quinze jours avant Pâques, Varennes-sur-Allier devient, le temps d’un week-end, la Mecque du charolais de boucherie. Sous le marché couvert, transformé en foirail géant, l’aristocratie des éleveurs de la race promène fièrement ses plus beaux spécimens dans l’espoir de décrocher les prestigieux prix. Le Sésame indispensable pour vendre au prix fort ses bêtes de concours aux bouchers, négociants et autres acheteurs argentés de grandes surfaces qui accourent de toute la France.

« Le filet de boeuf
est à 139,90 euros le kilo,
le rosbif à 126,90… »

En ce samedi matin nuageux, au fond de la halle, parqués derrière de grosses barrières en aluminium, une cinquantaine d’hommes en blouses multicolores s’activent autour de bovins à manier avec des pincettes. Au milieu, un moustachu, cheveux noirs plaqués en arrière et fines lunettes, Jean-Luc Livrozet navigue. À la fois inquiet et décidé.

Un petit carnet à la main, il scrute le postérieur hypertrophié des vedettes du jour, les fameux « culards ». Échange discrètement quelques mots en passant avec les autres membres du jury, dont certains sont aussi les plus gros acheteurs du jour, donc ses principaux concurrents, et les éleveurs qui sont, eux, vendeurs. Un petit jeu d’influence, où, mine de rien, les transactions se négocient, indéchiffrable pour le néophyte.

Le gérant de Charolais noblesse, entreprise de négoce basée à Vichy, occupe une place à part dans la nomenklatura de cette race à viande prisée des gourmets. « Il ne vend que des produits d’exception. C’est de la haute couture », glisse-t-on dans le milieu dans un élan d’unanimité. Si tel Obélix, il est tombé petit dans la marmite au point d’être un pilier du concours depuis plus de vingt ans, Jean-Luc, comme tout le monde l’appelle ici, n’en mène pas large. Un boucher de Pont-Saint-Esprit dans le Gard, en route pour l’Allier et avec qui il communique par téléphone, lui a donné pour mission d’acheter le super prix d’honneur.

Or, le cru 2010 s’annonce hors normes, à tous les niveaux, surtout pécuniaire. « Cette année, le concours sort vraiment de l’ordinaire. » Depuis plusieurs jours, celui qui est aussi le président d’Interbev Auvergne a jeté son dévolu sur une génisse de la famille Rimoux. « Je suis allé en repérage cette semaine à l’étable. Je n’ai jamais vu une bête pareille. Enfin, je peux toujours me tromper », lâche-t-il, prudent, à l’approche du verdict.

Il sera vite rassuré. À l’unanimité moins une voix, sous un tombereau d’applaudissements, l’affaire est pliée. Le super prix d’honneur est décroché haut la main. « Maintenant, ça va me coûter cher. Bon, je me suis déjà positionné dessus. Mais je ne suis plus le seul sur le coup. On en est à 13.000 euros, des proportions jamais atteintes. »

Finalement, après un ultime échange éclair, les anciennes et fructueuses relations avec les Rimoux lui permettent d’enlever la vente pour 12.000 euros. Un record. « Acheter le super prix, c’est une question de prestige. Malgré le tarif, je crois que si je ne l’avais pas fait, mon boucher aurait été vexé. »

L’intéressé, José Muela, petit brun nerveux à la peau mate et à l’accent chantant, finit par arriver. Heureux comme un gosse, pas perturbé pour deux sous par l’épaisseur du chèque à signer. Direction L’Abreuvoir, le bien nommé bar du marché couvert, où le champagne, tradition du cru, coule à flots.

Abattue à Vichy, la bête (650 kg de viande) a été mise en vente à Pont-Saint-Esprit pour Pâques. À quel prix ? « Je n’ai pas augmenté mes tarifs depuis trois ans. Le filet de b?uf est à 139,90 euros le kilo et le rosbif à 126,90 », avoue, sans ciller, le boucher gardois, sous les regards ébahis. « Bon, à ce prix-là, c’est sûr qu’il ne mange pas d’argent. Mais le consommateur n’a pas intérêt à oublier le rôti au four », éclate de rire Jean-Luc Livrozet. Lui qui dit souvent : « Dans le prix d’une bête, il y a le prix de la viande, mais aussi de l’amitié. »