dimanche, mars 04, 2007

Christophe Mercier ... cantatrice ( et non béatrice) à Saint-Pont

LES LETTRES FRANÇAISES "L'humainité" 3 juin 2006
Chaque homme marche à côté de son bourreau
On n’a pas exilé Christophe Mercier en province, non loin du château de la marquise de Sévigné, en tout cas, pas à ma connaissance, et son dernier roman, la Cantatrice, serait refusé par la Veillée des chaumières. Il donne, en effet, une image de la « France profonde » qui n’est guère réjouissante. Mais enfin, il ne fait pas dans le mélodrame et si l’on meurt beaucoup dans son ouvrage et pour toutes sortes de raisons, il évite le grand guignol. Suicides, assassinats, accidents divers ne sont que la conséquence logique de situations inextricables dans lesquelles ses personnages sont prisonniers et qu’il décrit avec la précision froide d’un entomologiste.
Le regard de Christophe Mercier, rivé à son microscope, s’est arrêté sur un petit village du Bourbonnais, Saint-Pont. Il a raison de donner en exergue de son livre cette phrase de Bernanos : « Ma paroisse est une paroisse comme les autres. » En effet, Saint-Pont ressemble à n’importe quelle bourgade de province et ses habitants, (artisans, commerçants, retraités) font partie d’un décor bien français. Il y a toujours à l’horizon une église et son clocher où veille un coq, un château endormi sur une colline, des vallons et des forêts pour l’herboriste rousseauiste, et le chasseur braconnier, une rivière ou un étang pour le pêcheur à la ligne. Voilà la France tranquille, célébrée par François Mitterrand. Cela sent un peu le renfermé, l’eau bénite, la médiocrité petite-bourgeoise, les désirs refoulés, les passions inavouables qu’un petit verre de gnole donne l’illusion d’assouvir. Bref, la mort à petit feu dans l’ennui d’un quotidien sans grandeur. Parfois le rêve fait irruption comme la foudre et vient bouleverser l’ordre d’une vie, fixé, semblait-il, de toute éternité.
Tout commence à Saint-Pont, un dimanche. « Que c’est long, les dimanches à la campagne, quand on n’a rien à faire de précis, et qu’on devient vieux. » Harry et Paule ont quitté la ville, Clermont-Ferrand, pour vivre leur retraite « au fin fond de l’Allier ». Ils partagent leur maison de Saint-Pont avec Marie, une vieille fille, ancienne institutrice, la soeur aînée de Paule.
« Midi sonnait à l’église du village. Marie Lepront sursauta. Il fallait qu’elle se dépêche. Le repas ne serait jamais prêt lorsque Paule et Harry reviendraient de la messe. »
Christophe Mercier sait, dès les premières pages de son roman, rendre vivantes et attachantes ces scènes de la vie de province qu’il observe avec une tendresse secrète et cependant jamais complaisante. La plume est acerbe et le regard qu’il porte sur les gens, impitoyable. Il y a Fraissynous, « l’énorme patron rubicond de la plus grosse quincaillerie du village », Madame Mirou, la patronne de l’hôtel-restaurant, « l’oreille de plusieurs villageois », Maeder, le pharmacien « malingre, le cheveu rare, gras, une mèche plaquée au crâne », Victoire Massagier et son mari, le plombier...
L’installation au château de Saint-Pont d’une célèbre cantatrice, Gisèle Prassmück, va soudain, comme par magie, modifier le cours de leur existence, les révéler à eux-mêmes et à leur entourage, leur donner un destin. Ils endossent alors le costume de la tragédie. L’amour passion pour la star va peu à peu détruire Harry et Fraissynous, pour ne parler que d’eux, et les conduire de l’extravagance à la folie. La cantatrice ici est la figure de la mort, de leur propre mort, qui les fascine et à laquelle ils se rendent corps et biens, comme le fleuve se jette à la mer.

Jean Ristat
 

Xavier de Bartillat ....élevé à la communale d'un petit village du Bourbonnais.

Xavier de Bartillat au Mori Venice bar
[ 08/09/2006 - Série Limitée N°46

Depuis avril dernier, Xavier de Bartillat est seul maître à bord des Éditions Perrin dont il a fait une maison prospère, la première pour les livres d'histoire. Celle de la langue française par Alain Rey sera son cheval de bataille pour la rentrée.
Les auteurs ne naissent pas dans les choux. Derrière eux se profile la figure de l'éditeur qui rend possible l'émergence d'une oeuvre, souvent l'oriente et la publie, au sens noble du terme. Qu'eut écrit Zola sans Georges Charpentier, Beckett sans Jérôme Lindon ou Balzac sans Edmond Werdet ? Une oeuvre, certes, mais dont l'ambition et le retentissement eussent sans doute été moindres. Xavier de Bartillat appartient à cette race d'éditeurs dont on peut dire qu'ils sont aussi des accoucheurs. La raison en est simple : il y a dix ans, il s'est rendu maître de Perrin, une belle endormie spécialisée dans l'histoire. Au moment de son entrée en fonction, la maison ne disposait plus d'auteurs vraiment en activité. Seulement un prestigieux catalogue au fronton duquel brillaient les noms d'écrivains ayant déjà réalisé l'essentiel de leur oeuvre : André Castelot, Alain Decaux, Philippe Erlanger... Vivre sur le fonds, se contenter d'une activité de « rat de bibliothèque » comme il qualifie lui-même la réédition ? L'exemple d'Olivier Orban chez Plon et son expérience antérieure d'éditeur scolaire chez Nathan le poussaient plutôt à reconstituer une écurie.
Il n'y a pas dix minutes que nous sommes assis dans ce box du Mori Venice Bar. La cuisine vénitienne a trouvé dans l'ancien Bon décoré par Philippe Starck un cadre en accord avec sa nature profondément baroque. Et déjà le nom d'Anthony Rowley surgit dans la conversation. Car l'auteur d'Une histoire mondiale de la table. Stratégies de bouche * n'a pas été seulement « l'axe intellectuel de cette renaissance de Perrin » : historien de la chose gastronomique, il est aussi le commensal qui entraîne Xavier de Bartillat dans des virées culinaires et verbalise pour lui le goût des choses. « J'apprécie, mais c'est lui qui en parle. Nous formons une paire, le gourmet et le néophyte... », précise Xavier de Bartillat. On pourrait dire aussi, l'intellectuel et le gestionnaire, l'historien de métier et l'éditeur professionnel. L'un amenait ses connaissances, l'autre sa capacité à garantir la liberté de Perrin, à rendre possible toutes les aventures éditoriales. Et il y en eut. Un déjeuner en tête-à-tête au Dôme avec le général Aussaresses, le tortionnaire de la bataille d'Alger, a pu être déterminant. Le militaire voulait vider son sac.
Crimes de guerre
Xavier de Bartillat n'avait pas idée que cela le conduirait aux assises pour apologie de crimes de guerre. Il fut aussi, chez Plon, l'éditeur du livre du docteur Gubler, le médecin de Mitterrand, exemple unique d'ouvrage interdit à la vente de nos jours. Dans les deux cas, il ne regrette rien. Un signe le rassure même : plus de la moitié des signataires de la pétition « Liberté pour l'histoire » contre la prolifération des lois mémorielles sont des auteurs maison. Tous ses poulains ne sont pas aussi sulfureux. Mais parmi les plus grands succès de Perrin, on compte pas mal d'auteurs étrangers au milieu académique. Il fallait un certain flair pour aller dénicher à l'Élysée, après le désastre électoral de 1997, un de Villepin, fan de Napoléon et auteur d'un Cent Jours, son meilleur livre. Discerner que le banquier Jean Christian Petitfils avait la trempe d'écrire un Louis XVI définitif. Ou, à l'inverse, sortir Nicolas Baverez de ses études d'aroniste distingué pour le délivrer du best-seller dont il était gros, La France qui tombe.
Xavier de Bartillat accorde une attention un peu distraite aux antipasti qui défilent devant lui. La gastronomie n'est pas son fort, ou plutôt il fait partie de cette espèce de convives pour qui l'échange a plus d'importance que les mets. Mais quand Anthony Rowley lui a proposé de lancer une collection de livres de cuisine, il n'a pas dit non. Les premiers sortent cet automne en copublication avec Agnès Viénot, plutôt originaux : des recettes de cantines réinterprétées par des grands chefs, une somme culinaire de Joël Robuchon... La cuisine, comme l'histoire, renvoie à une forme d'enracinement. Descendant d'une vieille famille noble, mais élevé à la communale d'un petit village du Bourbonnais, Xavier de Bartillat cultive à sa façon le terreau de la francité. En le remuant dans des livres qui nous parlent de notre pays, de sa place dans le monde, de son passé et donc, de son futur. Mais aussi en exploitant le domaine agricole qu'il a acquis dans le Cher. Avec toujours le souci d'une rentabilité qui garantisse sa liberté de jouir de cet espace. « Histoire et modernité, gestion et créativité ne sont pas incompatibles », conclut cet homme de lettres à qui les chiffres ne font pas peur.

* Aux Éditions Odile Jacob.
Pierre Rival