Christophe Mercier ... cantatrice ( et non béatrice) à Saint-Pont
LES LETTRES FRANÇAISES "L'humainité" 3 juin 2006
Chaque homme marche à côté de son bourreau
On n’a pas exilé Christophe Mercier en province, non loin du château de la marquise de Sévigné, en tout cas, pas à ma connaissance, et son dernier roman, la Cantatrice, serait refusé par la Veillée des chaumières. Il donne, en effet, une image de la « France profonde » qui n’est guère réjouissante. Mais enfin, il ne fait pas dans le mélodrame et si l’on meurt beaucoup dans son ouvrage et pour toutes sortes de raisons, il évite le grand guignol. Suicides, assassinats, accidents divers ne sont que la conséquence logique de situations inextricables dans lesquelles ses personnages sont prisonniers et qu’il décrit avec la précision froide d’un entomologiste.
Le regard de Christophe Mercier, rivé à son microscope, s’est arrêté sur un petit village du Bourbonnais, Saint-Pont. Il a raison de donner en exergue de son livre cette phrase de Bernanos : « Ma paroisse est une paroisse comme les autres. » En effet, Saint-Pont ressemble à n’importe quelle bourgade de province et ses habitants, (artisans, commerçants, retraités) font partie d’un décor bien français. Il y a toujours à l’horizon une église et son clocher où veille un coq, un château endormi sur une colline, des vallons et des forêts pour l’herboriste rousseauiste, et le chasseur braconnier, une rivière ou un étang pour le pêcheur à la ligne. Voilà la France tranquille, célébrée par François Mitterrand. Cela sent un peu le renfermé, l’eau bénite, la médiocrité petite-bourgeoise, les désirs refoulés, les passions inavouables qu’un petit verre de gnole donne l’illusion d’assouvir. Bref, la mort à petit feu dans l’ennui d’un quotidien sans grandeur. Parfois le rêve fait irruption comme la foudre et vient bouleverser l’ordre d’une vie, fixé, semblait-il, de toute éternité.
Tout commence à Saint-Pont, un dimanche. « Que c’est long, les dimanches à la campagne, quand on n’a rien à faire de précis, et qu’on devient vieux. » Harry et Paule ont quitté la ville, Clermont-Ferrand, pour vivre leur retraite « au fin fond de l’Allier ». Ils partagent leur maison de Saint-Pont avec Marie, une vieille fille, ancienne institutrice, la soeur aînée de Paule.
« Midi sonnait à l’église du village. Marie Lepront sursauta. Il fallait qu’elle se dépêche. Le repas ne serait jamais prêt lorsque Paule et Harry reviendraient de la messe. »
Christophe Mercier sait, dès les premières pages de son roman, rendre vivantes et attachantes ces scènes de la vie de province qu’il observe avec une tendresse secrète et cependant jamais complaisante. La plume est acerbe et le regard qu’il porte sur les gens, impitoyable. Il y a Fraissynous, « l’énorme patron rubicond de la plus grosse quincaillerie du village », Madame Mirou, la patronne de l’hôtel-restaurant, « l’oreille de plusieurs villageois », Maeder, le pharmacien « malingre, le cheveu rare, gras, une mèche plaquée au crâne », Victoire Massagier et son mari, le plombier...
L’installation au château de Saint-Pont d’une célèbre cantatrice, Gisèle Prassmück, va soudain, comme par magie, modifier le cours de leur existence, les révéler à eux-mêmes et à leur entourage, leur donner un destin. Ils endossent alors le costume de la tragédie. L’amour passion pour la star va peu à peu détruire Harry et Fraissynous, pour ne parler que d’eux, et les conduire de l’extravagance à la folie. La cantatrice ici est la figure de la mort, de leur propre mort, qui les fascine et à laquelle ils se rendent corps et biens, comme le fleuve se jette à la mer.
Jean Ristat
Chaque homme marche à côté de son bourreau
On n’a pas exilé Christophe Mercier en province, non loin du château de la marquise de Sévigné, en tout cas, pas à ma connaissance, et son dernier roman, la Cantatrice, serait refusé par la Veillée des chaumières. Il donne, en effet, une image de la « France profonde » qui n’est guère réjouissante. Mais enfin, il ne fait pas dans le mélodrame et si l’on meurt beaucoup dans son ouvrage et pour toutes sortes de raisons, il évite le grand guignol. Suicides, assassinats, accidents divers ne sont que la conséquence logique de situations inextricables dans lesquelles ses personnages sont prisonniers et qu’il décrit avec la précision froide d’un entomologiste.
Le regard de Christophe Mercier, rivé à son microscope, s’est arrêté sur un petit village du Bourbonnais, Saint-Pont. Il a raison de donner en exergue de son livre cette phrase de Bernanos : « Ma paroisse est une paroisse comme les autres. » En effet, Saint-Pont ressemble à n’importe quelle bourgade de province et ses habitants, (artisans, commerçants, retraités) font partie d’un décor bien français. Il y a toujours à l’horizon une église et son clocher où veille un coq, un château endormi sur une colline, des vallons et des forêts pour l’herboriste rousseauiste, et le chasseur braconnier, une rivière ou un étang pour le pêcheur à la ligne. Voilà la France tranquille, célébrée par François Mitterrand. Cela sent un peu le renfermé, l’eau bénite, la médiocrité petite-bourgeoise, les désirs refoulés, les passions inavouables qu’un petit verre de gnole donne l’illusion d’assouvir. Bref, la mort à petit feu dans l’ennui d’un quotidien sans grandeur. Parfois le rêve fait irruption comme la foudre et vient bouleverser l’ordre d’une vie, fixé, semblait-il, de toute éternité.
Tout commence à Saint-Pont, un dimanche. « Que c’est long, les dimanches à la campagne, quand on n’a rien à faire de précis, et qu’on devient vieux. » Harry et Paule ont quitté la ville, Clermont-Ferrand, pour vivre leur retraite « au fin fond de l’Allier ». Ils partagent leur maison de Saint-Pont avec Marie, une vieille fille, ancienne institutrice, la soeur aînée de Paule.
« Midi sonnait à l’église du village. Marie Lepront sursauta. Il fallait qu’elle se dépêche. Le repas ne serait jamais prêt lorsque Paule et Harry reviendraient de la messe. »
Christophe Mercier sait, dès les premières pages de son roman, rendre vivantes et attachantes ces scènes de la vie de province qu’il observe avec une tendresse secrète et cependant jamais complaisante. La plume est acerbe et le regard qu’il porte sur les gens, impitoyable. Il y a Fraissynous, « l’énorme patron rubicond de la plus grosse quincaillerie du village », Madame Mirou, la patronne de l’hôtel-restaurant, « l’oreille de plusieurs villageois », Maeder, le pharmacien « malingre, le cheveu rare, gras, une mèche plaquée au crâne », Victoire Massagier et son mari, le plombier...
L’installation au château de Saint-Pont d’une célèbre cantatrice, Gisèle Prassmück, va soudain, comme par magie, modifier le cours de leur existence, les révéler à eux-mêmes et à leur entourage, leur donner un destin. Ils endossent alors le costume de la tragédie. L’amour passion pour la star va peu à peu détruire Harry et Fraissynous, pour ne parler que d’eux, et les conduire de l’extravagance à la folie. La cantatrice ici est la figure de la mort, de leur propre mort, qui les fascine et à laquelle ils se rendent corps et biens, comme le fleuve se jette à la mer.
Jean Ristat