vendredi, mars 14, 2008

Bourgogne vue de Lausanne: l'Hebdo

En Bourgogne, il n'y a pas que la mangeaille

Sabine Pirolt
Le début du mois de juin est l'occasion où jamais de passer un week-end en Bourgogne avant les grandes prises d'assaut des estivants. Parallèlement à la route des vins, il est une voie plus spirituelle et aussi enivrante: celle des églises romanes. Un chemin qui ne manquera pas de séduire les amateurs d'art mais également tous les amoureux de vieux villages, pelotonnés dans des écrins de verdure. Une centaine d'édifices sont répertoriés sur tout le territoire bourguignon, dont plus de quarante dans le département de Saône-et-Loire, à quelque deux heures de Genève. On y trace son itinéraire soi-même guidé par une précieuse brochure: «Bourgogne romane». Quelques itinéraires sont proposés à ceux qui ont besoin de conseils: «Sur les traces de saint Bernard» fondateur de Clairvaux, ou «Paray-le-Monial et le Brionnais», qui emmène les visiteurs à travers les paysages vallonnés. Le circuit «Cluny et le Mâconnais», un parcours de 140 kilomètres, promène les curieux aux alentours des vestiges de la grande abbatiale de Cluny, à la découverte de prestigieux édifices. La chapelle priorale du Château des moi nes de Berzé-la-Ville en est un exemple éblouissant. On la découvre depuis les hauts du village; la route longe le cimetière jusqu'au prieuré. Un couloir semblable à un passage souterrain mène au saint des saints: la chapelle ornée de précieuses peintures romanes datant du Xlle siècle.

Au nord de Berzé-la-Ville, sur le même circuit, il est un village épargné par le temps. On y accède à pied, par une large route de gravier rougeâtre. Si l'ancien château fort restauré au XlVe siècle ne mérite pas 15 FF d'entrée, une balade dans le hameau vaut son pesant d'émerveillement: maisons de vieilles pierres blanches couvertes de glycines et de rosiers sauvages, ruelles de gravier bordées de jardins secrets débordant de fleurs et d'arbustes odorants, l'endroit classé monument historique semble tout droit sorti d'un conte de fées. Au sommet de la colline, la chapelle finement proportionnée est d'une émouvante sobriété. Des peintures du Xllle siècle ornent des pans de mur et un gisant - Jocerand, mort en Egypte aux côtés de saint Louis - veille sur l'édifice religieux. Quant à la vue qu'offre l'esplanade d'herbe tendre sur les monts de la Loire et de l'Autunois, elle est belle à damner un saint.

Brochure et renseignements: Comité du tourisme de Bourgogne, (0033) 3 80 50 90 00. Catalogue «Va cances en gîtes de France», région Saône-et-Loire.

Vialatte dans l'HEBDO

Le Vialatte, une créature ébouriffante

Michel Audétat
On aimerait parfois ne rien avoir lu d'Alexandre Vialatte et retrouver l'éblouissement du jour où, pour la première fois, on découvre cette prose en arabesques légères, remplie de bizarreries drôles et baroques. En trois lignes, Vialatte ébouriffe son lecteur. Il l'entraîne dans un monde incongru où les plus grands étonnements naissent de l'attention portée aux plus petites choses. On en ressort instruit de la vitesse moyenne de l'escargot, enchanté par les trésors poétiques des almanachs, ravi d'avoir fait la connaissance du zinjanthropus, et forcément accro aux oeuvres de ce sorcier auvergnat. Le Vialatte est une drogue dure à consommer sans modération.

Il fallait que ce monde eût son guide précis et pratique. On en possède désormais un grâce à Denis Wetterwald, auteur et comédien, qui a non seulement goûté Vialatte en lecteur mais l'a également amené sur scène. Son livre est une petite géographie vialattienne où cha que continent est arpenté: ici le chroniqueur qui «savait faire tenir le monde sur une seule colonne de "La Montagne"», le journal de Clermont-Ferrand; là le romancier de l'adolescence rêveuse et tragique à qui l'on doit «Battling» ou «Les fruits du Congo»; et là le découvreur de Kafka qui franchit le Rhin grâce à Vialatte. Denis Wetterwald traverse tout cela, et bien d'autres territoires encore, au rythme d'une aimable flânerie. D'une plume limpide et chaleureuse, il fait mesurer l'extraordinaire chemin parcouru par un écrivain qui, dans le temps où il a vécu (de 1901 à 1971), ne cessa pourtant de vanter les mérites de la lenteur. Vialatte disait que la vitesse nous fait perdre notre temps plus vite: «Avec de la lenteur, on perd son temps lentement; donc moins...»

Capable d'un exercice d'admiration dépourvu d'idolâtrie, Denis Wetterwald parle très honnêtement des romans de Vialatte: «Il bâtit ses romans comme un maçon fou. Il entasse, il empile, il n'attend pas que ça sèche. Si le temps est au beau, le mur tient, sinon tout s'affaisse.» On peut donc leur préférer ces chroniques auxquelles l'écrivain consacra les vingt dernières années de sa vie en échange de médiocres rémunérations, où l'homme apparaît, entre l'éléphant d'Afrique et le mille-pattes, avec son chapeau mou et le bric-à-brac propre à sa condition de créature moderne. C'est le genre vif et libre qui correspond le mieux à la sensibilité de Vialatte, à sa nature vagabonde et à son goût du détail. Depuis qu'on a commencé à les éditer (chez Julliard), elles nous offrent un riche banquet autour duquel nous sommes apparemment toujours plus nombreux à nous rassembler.

«Alexandre Vialatte», de Denis Wetterwald, préface de Claude Duneton, Le Castor Astral, 173 p.