Libération 7 mars 2007 : Le cas Kaolin
Jugé peu rentable, le groupe de rock français avait été lâché par sa maison de disques. Avant de décrocher un disque d'or avec son troisième album produit par un petit label indépendant. Ce soir à la Cigale. A lire aussi "La délicieuse surprise de Kaolin" sur notre blog Rock don't cry !
Par Gilles RENAULT
QUOTIDIEN : mercredi 7 mars 2007
Kaolin CD : «Mélanger les couleurs», At(h)ome/Wagram. En concert ce soir, à 20 h, à la Cigale, 120, bd Rochechouart, 75018. Complet. Et en tournée jusqu'à l'été.
C'est entendu : vendre des CD n'est pas un métier d'avenir, et les maison de disques, telles qu'elles fonctionnent depuis plusieurs décennies appartiendront bientôt à un passé aussi révolu que les terrils dans le Nord En attendant, les cas particuliers de prospérité constituent des motif d'espoir très relatif, entre marche arrière actionnée sur fond de nostalgi pompidolienne (Voulzy chloroformé, Delpech réactivé sur l'air de Quand j'étais chanteur ), caravane rajeunie mais toujours ambiguë des Restos du coeur et variété ripolinée prête à vendre son âme à Cauet pour gagner le million (Bénabar). Et puis dans des proportions certes plus modestes , il y a l'éternelle histoire du pot de terre qui, cette fois sous la forme d'une roche argileuse friable, refuserait de finir en débris.
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Montluçon. Quatuor du terroir (deux frères plus deux potes qui se mettent à rêvasser de concert dans la cour du lycée), Kaolin croît à Montluçon, qui ne le lui rend que modérément. En 2002, alors qu'on les visite dans leur fief de l'Allier, pas plus de cent personnes sont venues voir les régionaux de l'étape au Guingois, la salle locale. Mais le nez dans le gazon, les compères béent à des lendemains qui chantent («Notre souci premier consiste à créer des ambiances, à faire voyager, aussi bien au niveau de la musique que des textes et de leur sonorité») et, apprentis baroudeurs, cautionnent la quiétude agreste de cet environnement familier qui leur permet de garder les pieds sur terre entre deux tournées.
Si bruit il y a, c'est sur scène que ça se passe ; pour le reste, les Kaolin préconisent une certaine forme de «calme et d'ennui» susceptible de nourrir l'inspiration. Deux albums vont émerger ainsi du Bourbonnais : Allez, puis De retour dans nos criques. Dans l'ensemble, les critiques sont élogieuses. Pas les ventes. Début 2005, Barclay, la major qui les avait signés pour trois disques, lâche l'affaire. C'est son droit. Guillaume Cantillon, bassiste et chanteur du groupe se souvient : «Une lettre, et c'était fini. Sur le coup, nous avons éprouvé un sentiment d'échec, bref, mais fort. On en voulait un peu à la maison de disques de ne pas s'être assez battue pour nous.»
Il ne s'agissait pas à proprement parler d'une trahison, plutôt d'une décision froidement conforme aux lois du marché. Pour rester dans le circuit, Kaolin devait vendre à chaque fois au moins 30 000 disques. Ses scores étaient inférieurs à 10 000. Game over. Comme pour tant d'autres, qui mordent la poussière, après avoir vécu la tête dans les étoiles.
Post-scriptum. Mais, cette fois, l'histoire comporte un long post-scriptum. «Notre prochain album était déjà quasiment fini et, quitte à le sortir en autoproduction, nous savions qu'il existerait un jour», précisent les musiciens éconduits. Entre alors dans la danse At(h)ome, un petit «label rock ouvert indépendant», ainsi qu'il se définit. Basée à Pantin, en Seine-Saint-Denis, la structure a été fondée dans un deux-pièces, en 2002, par les frères Olivier et Stéphane Laick, qui, avec une troisième personne, coiffent toutes les casquettes : artistique, juridique, promo, marketing, fabrication...
«Interlocuteurs». Soucieuse de concilier «ouverture d'esprit» et «développement d'artistes», At(h)ome snobe la sinistrose ambiante et décide, en 2005, d' «amplifier la diversification des signatures : plus de contrats seront signés dans les styles qui composent la scène française». Lofofora, AqME, les Tit's Nassels, Uncommonmenfrommars, etc. se tassent dès lors sur la banquette pour accueillir le clan Kaolin.
«Nous avons retrouvé des interlocuteurs avec de la fraîcheur, des envies neuves, observe Guillaume Cantillon, là où les majors, qui ont tant d'artistes à s'occuper, baissent sans doute plus vite les bras si les choses ne décollent pas rapidement.» Dans le cas du tome 3 de Kaolin, le problème ne se pose d'ailleurs guère : une chanson, «Partons vite», mélodie folk à la bonne franquette (les Innocents d'hier croisant les Radiosofa de demain ?), sert de primesaut au disque Mélanger les couleurs, qui sort fin septembre 2006.
«Contents». Conquis par les compositions du groupe, At(h)ome dit avoir «cassé la tirelire pour permettre l'enregistrement des douze titres». Trois mois plus tard, Kaolin est disque d'or, rappelant le succès de Luke il y a deux ans. La Cigale de ce soir affiche complet ; les festivals d'été (Solidays, Francofolies...) leur tendent les bras ; un Olympia est prévu début novembre. Miracle ? «Pas du tout, estime Guillaume Cantillon. Après avoir connu en dix ans bien des moments difficiles, nous sommes contents, sans emballement particulier, et cela nous permet de donner plus facilement libre cours à nos envies.»
Un temps fiché «post-rock», le quatuor brasse désormais des influences aussi bien folk que noisy et se veut «pop, au sens populaire du terme». Deux ou trois majors ont proposé le rachat de leur contrat pour l'album Mélanger les couleurs. Kaolin n'a pas donné suite.