vendredi, mars 24, 2006

Diasporas par Stéphane Dufoix, Université de Paris-X Nanterre

Le Dictionnaire historique de la langue française signale que « diaspora » est un emprunt récent en français, daté de 1908, du grec diaspora « dispersion ». « Par extension (1949), il concerne l'état de dispersion d'une ethnie avec le même emploi métonymique ( la diaspora arménienne ) » [3] . Cette définition historique nous propose deux dates pour attester de la présence du mot, l'une correspondant à son entrée dans le dictionnaire dans son sens originel, l'autre correspondant à l'extension de la définition.
Toutefois, cette définition peut être mise en cause. En effet, elle concerne des plans différents. 1908 (d'autres dictionnaires indiquent 1909 [4] ) est vraisemblablement une entrée dans un dictionnaire - dont nous n'avons pu pour l'instant retrouver la trace - car d'autres éléments témoignent de cette officialisation du terme. Si la première occurrence que nous avons pu repérer dans un dictionnaire date de 1929, dans le Larousse du XXe siècle - « Hist. relig. Dispersion, à travers le monde antique, des Juifs chassés de leur pays par les vicissitudes de leur histoire » [5] - le terme entre dans le « Department of New Words » du Webster britannique de 1913  : 
« Diaspora. Cf. Diaspore. Lit. « dispersion » - Applied collectively  :  a) to those Jews who, after the Exile, were scattered through the Old World, and afterwards to Jewish Christians living among heathen. Cf. James i.1. b) by extension to Christians isolated from their own communion, as among the Moravians, to those living, usually as missionaries, outside of the parent congregation. » [6]
En revanche, de toute évidence, 1949 ne signale pas l'entrée dans un dictionnaire de l'extension du terme à d'autres « ethnies ». D'une part, la première édition du Dictionnaire historique de la langue française (1992) date cette extension de 1968 [7] . D'autre part, non seulement aucun dictionnaire français n'indique cette extension avant les années 1980, mais il est rare que le terme soit recensé. Il est absent du Dictionnaire Larousse du français contemporain (1966) [8] , du Dictionnaire alphabétique et analogique de la langue française de Paul Robert, tant dans sa version portative (1967) que dans celle en six volumes (1978), du Grand Larousse de la langue française de 1972, du Dictionnaire de la langue française par Jean Girodet (1976) [9] . A la fin des années 1970, il n'est manifestement pas un mot considéré comme usuel. Il n'apparaît dans les années 1970 que dans le Dictionnaire Quillet de la langue française de 1975  :   « Diaspora. Mot gr. signifiant dispersion et appliqué à la dispersion des Juifs dans le monde au cours des siècles » [10] . Pour rare qu'elle soit, cette définition liée au destin du peuple juif est considérée comme le socle significatif du mot. Le Dictionnaire des mots contemporains de 1980 prend acte d'acceptions du terme « à propos d'autres populations que le peuple juif »  :  trois citations extraites du journal Le Monde et de L'Express à la fin des années 1960 signalent une extension de l'usage puisque « diaspora » y est appliqué aux Tchèques, aux Basques et aux Bretons [11] . Par la suite, ces exemples sont repris dans d'autres dictionnaires. Le Robert en 9 volumes de 1985, signale que l'extension du mot est attestée en 1968 (date de la citation extraite du Monde à propos de la « diaspora tchèque ») et donne comme exemples  :  « la diaspora tchèque, arabe, basque, chinoise » [12] . De façon intéressante, les exemples de diaspora changent. Le Petit Robert de 1987 indique encore « diaspora tchèque, arabe, basque, chinoise » tandis que l'édition de 1994, non seulement remplace « ethnie » par « communauté » et mentionne l'usage du mot comme « ensemble des membres dispersés » [13] , mais cite ensuite « les diasporas arménienne, libanaise, chinoise » [14] . Les exemples sont sensiblement les mêmes dans le Dictionnaire de l'Académie française   :  « La diaspora arménienne, grecque, chinoise » [15] .
Il s'ensuit que l'indication de 1949 n'indique vraisemblablement pas l'entrée dans un dictionnaire, mais une simple attestation d'une occurrence. Il pourrait bien s'agir d'une citation de Michel Collinet signalée en 1987 dans les Matériaux pour l'histoire du vocabulaire français   :  « L'autre composante du communisme est d'ordre politique et étatique, la tyrannie dont la religion est la "diaspora" » ( Paru , (54), octobre 1949, p. 118) [16] . En effet, cette citation tend à considérer « diaspora » plus comme une catégorie que comme un terme uniquement appliqué à certains peuples, généralement avec une forte connotation religieuse. C'est ainsi que l'usage du mot par Jacques Maritain, par exemple, quand il écrit « une sorte de diaspora chrétienne » [17] , peut sembler surprenant pour des Français, car cette acception chrétienne n'est jamais mentionnée dans les dictionnaires. En revanche, elle est clairement intégrée dans la plupart des dictionnaires britanniques.
« Diaspora. [...] 1. usu. cap. a   :  the settling of scattered colonies of Jews outside Palestine after the Babylonian exile. b  :  the area outside Palestine settled by Jews (in Israel or in the Diaspora). c  :  the Jews living outside Palestine or modern Israel. d  :  the state of the Jews scattered in the Gentile world. 2. a  :  dispersion (as of a people of common national origin or of common beliefs  :  spread (as of national culture)  :  EXILE, SCATTERING, MIGRATION. 3. the people of one country dispersed into other countries (certains sections of the Armenian ~ scattered over the world could be abstracted - Walter Kolarz). 4. the dispersion of Christians isolated from their own communion. » [18]
Cette définition est capitale sur plusieurs points. 1) elle présente les différents niveaux de compréhension du mot  :  un processus, un espace, une population et un état. 2) elle nous rappelle que, déjà en 1961, le terme s'applique à d'autres populations que le seul peuple juif. 3) elle signale ce qui n'apparaît jamais dans les dictionnaires français, à savoir la très forte connotation religieuse au sens large, au-delà du seul peuple juif, du terme [19] . A bien des égards, ce qu'il est important de comprendre dans la diffusion du terme, c'est sa progressive sécularisation [20] .
« Diaspora » a une histoire. C'est un mot daté, auquel pourtant la plupart des auteurs n'accordent pas d'historicité. Tout se passe comme si le terme était évident, transparent, a-historique. Quelques auteurs insistent sur son inscription historique ou sur les difficultés de traduction entre des termes vernaculaires et « diaspora » en anglais, en français ou en allemand. Pourtant, la plupart du temps, leurs études ne vont pas plus loin dans l'exploration généalogique [21] . Les exceptions sont rares. Deux d'entre elles sont particulièrement notables. Khachig Tölölyan, rédacteur-en-chef de la revue Diaspora - lancée en 1991 et dont l'existence est partie intégrante de la fortune du mot dans les sciences sociales - propose en 1996 une périodisation de l'usage du terme. Il commence par noter l'absence générale de « diaspora » dans les dictionnaires et encyclopédies français et britanniques, qui ne serait présent, avant le début des années 1980, qu'au travers de l'article « Diaspora » signé par Simon Dubnov dans l'édition de 1931 de l' Encyclopedia of Social Sciences [22] . Nous avons montré qu'il se trompe sur ce point et que des occurrences existent. Par ailleurs, il situe le point d'inflexion entre deux périodes aux alentours de 1968. Avant 1968 prévaudrait une définition judéo-centrée ( Jewish-centered ) de la diaspora, selon laquelle la migration forcée d'une population clairement identifiée dans le pays d'origine se traduit par le maintien d'une mémoire collective dans le cadre d'une communauté distincte par rapport à la société d'accueil et par le maintien de contacts, tant entre les communautés dispersées qu'avec le pays d'origine quand il existe encore. Après 1968 se mettrait en place une autre définition, beaucoup plus ouverte, que Tölölyan emprunte à Walter Connor - « la fraction d'un peuple vivant en dehors du pays d'origine ( homeland ) [23]  » - et qui ne nécessite plus d'interrogation sur l'existence, réelle ou non, d'un sujet collectif, puisque l'accent est plus mis sur la représentation que sur l'action. Cette définition pourrait englober toutes les « dispersions » devenues des « diasporas » depuis la fin des années 1960 [24] . Il n'y a qu'un seul problème  :  pourquoi 1968 ? A aucun moment, Tölölyan ne justifie cette césure  :  pas un ouvrage, pas un article, pas un discours... Faut-il y voir une trace de l'article précité du Monde en 1968 ?
En 1998, l'historien allemand des religions Martin Baumann propose une analyse historique de l'adoption du terme « diaspora » dans différentes disciplines telles que les African studies où « diaspora » est utilisé dès les années 1950 mais n'acquiert de l'importance qu'à partir du milieu des années 1960 [25] , l'histoire des religions où il remonterait à 1987, les études indiennes qui voient lentement le terme s'imposer à partir du milieu des années 1980, et les études tibétaines où la première occurrence en 1984 n'est prolongée qu'en 1995 [26] . Pour autant, les études de ce type demeurent rares alors qu'elles permettraient de réfléchir aux conditions de possibilité de la diffusion et de l'acceptation scientifique et profane du terme.
Si l'on tente de prendre en compte l'émergence du terme dans les titres de thèses pour la France, on se rend compte, d'une part, qu'il n'en existe aucune, même maintenant, qui porte sur la catégorie en tant que telle, et d'autre part que « diaspora » ne devient d'un usage plus courant qu'à partir de la deuxième moitié des années 1980. Une recherche - qui nécessite un approfondissement - sur Docthèses (qui recense les thèses soutenues en France depuis 1972) montre que 13 d'entre elles sont accessibles avec le mot-clé « diaspora » (seules 5 parmi les 17 comportent le mot dans leur titre)  :  1 en 1986, 7 entre 1986 et 1991 compris, 4 entre 1994 et 1996 compris, et 1 en 2000. Une recherche avec le mot « diaspora » dans le titre [27] a pour résultat 17 thèses dont 5 soutenues avant 1982 - assez étrangement, une thèse de 1978 sur la diaspora chinoise dans l'Océan indien occidental n'est pas signalée. Les titres sont les suivants, dans l'ordre chronologique  : 
La diaspora chinoise dans l'Océan indien occidental , thèse d'histoire de l'Université d'Aix-Marseille, 1978.
Le jeu de l'identité et de la différence. Le cas d'Esse Zogbedsi, mini-diaspora adangme dans le sud-est du Togo , thèse de sociologie, Université Paris-V, 1982.
Colons blancs, diaspora noire  :  éveil et développement d'une identité caraïbe , thèse d'études anglaises, Université Paris-III, 1979
Jeux de miroirs entre l'Afrique et sa diaspora ou la perception de soi dans le roman afro-américain , thèse d'études nord-américaines, Université Paris-III, 1979
La diaspora des Kabye du Nord-Togo. Contribution à l'étude des mouvements migratoires du Togo , thèse de géographie, Université Bordeaux-III, 1981
Israël et les contributions financières de la diaspora , thèse de sciences économiques, Université Paris-II, 1981
Quels enseignements peut-on tirer de ces indications ? 1) Le terme semble, avec les limites inhérentes à l'exercice - il ne concerne que le titre, ce qui ne préjuge en rien de l'usage dans le corps de la thèse - , prendre de l'importance à la fin des années 1970 ; 2) il ne se limite pas à une seule discipline ; 3) il n'est pas utilisé pour ne décrire que le cas juif, puisqu'il n'est l'objet que d'une seule de ces thèses. En revanche, une étude prenant en compte la fréquence de l'usage du terme « diaspora » dans les notices des thèses - élément révélateur puisque les notices sont rédigées par les auteurs - montre en revanche la prépondérance du cas juif par rapport à tous les autres.

Trains...

La liaison Clermont-Ferrand-Paris va être modernisée par une mise aux normes de l'infrastructure et
la suppression de passages à niveau afin d’augmenter la vitesse des trains.
Les travaux engagés permettront d'obtenir fin 2008 un tronçon continu de plus de 50 kilomètres sur
lequel il sera possible de circuler à 200 km/heure.
Clermont-Ferrand sera alors à 3 heures de Paris contre 3heures 30 aujourd’hui.

Source RFF 02/2006