mardi, juillet 03, 2007

Que se passe-t-il aux « Echos » ? Par Jacques Barraux

Que se passe-t-il aux « Echos » ?

Editorial du
[ 22/06/07  - 09H04 ] -






La rédaction du sage journal fondé il y a 99 ans par la famille Servan-Schreiber aurait-elle perdu le contrôle de ses nerfs ? L'absence du quotidien mercredi matin pour cause de grève est-il l'indice d'une crise interne ? Il n'en est rien. Bien que le marché de la presse écrite soit difficile, « Les Echos » sont en bonne santé. D'année en année, ils élargissent leur lectorat et dégagent les bénéfices qui leur permettent de renforcer à la fois les contenus du journal et du site lesechos.fr. En un siècle, le minigroupe qui s'est peu à peu formé autour du quotidien n'aura eu que trois actionnaires, deux familles - Servan-Schreiber et Beytout - et une grande entreprise de presse et d'édition, le groupe anglais Pearson. Or ce dernier a annoncé cette semaine qu'il souhaitait se retirer de la presse en France.
Après la grève de mardi, de nombreux lecteurs et internautes nous ont dit qu'ils avaient du mal à comprendre que l'annonce d'une offre de rachat des « Echos » par l'une des plus belles entreprises de France puisse justifier une réaction de rejet sans nuance de la part de la quasi-totalité des salariés de l'entreprise. L'explication est simple : proposée à un prix très attractif pour le vendeur, l'offre se heurte hélas de front à la stricte doctrine éditoriale du journal.
« Les Echos » sont lus principalement, depuis des décennies, par un public de chefs d'entreprise, de cadres de la vie des affaires et de hauts fonctionnaires. La rédaction du journal est consciente du caractère sensible - parfois même explosif - de la matière traitée dans le journal. Un article peut détruire une réputation, privilégier un camp dans un rapport de force entre deux groupes opposés, véhiculer une erreur qui faussera le regard de l'opinion sur un dossier. D'où l'extrême rigueur des procédures internes de fonctionnement du journal. Mais d'où aussi l'attachement de ses journalistes à un actionnariat qui leur garantisse une totale neutralité de la personne morale « Les Echos » dans la couverture de l'actualité des affaires.
Le journal parle de l'entreprise à d'autres entreprises. Pour être crédible chez Peugeot quand ses journalistes parlent de Renault. Pour tenir la balance entre BNP Paribas et la Société Générale ou entre Martin Bouygues et Vincent Bolloré. Pour décrire sereinement les relations contrastées des chefs de file des groupes PPR et LVMH. Pour garantir à l'épargnant que les jugements de la page « Crible » ne sont pas entravés par le réflexe de l'autocensure. Pour que chaque camp de la vie des affaires soit assuré d'avoir une information non déformée sur le camp adverse.
Pour toutes ces raisons, la marque « Les Echos » doit prouver qu'elle n'est pas exposée au risque du conflit d'intérêts. Qu'elle est dégagée de tout lien privilégié avec l'un des acteurs majeurs de la vie des affaires, condition de la confiance de ses adversaires ou de ses partenaires. Chaque grand journal trouve en lui-même les fondements de sa légitimité. Celle des « Echos » provient de son histoire. Une histoire qui a produit une culture. Une culture qui a induit une certaine façon de travailler. Le journal, le magazine mensuel « Enjeux » et les publications du groupe fonctionnent sur un modèle d'entreprise moyenne qui a su profiter de l'obstacle de la langue pour protéger sa latinité dans le très britannique empire Pearson. Une attaque à la hussarde sur un fragile outil de démocratie économique est-elle la meilleure façon de servir la cause de la liberté d'entreprise ?