mardi, septembre 25, 2007

Willy Ronis, 96 ans:Mémoire photographique

Mémoire photographique


Le photographe parisien Willy Ronis, 96 ans, signe un livre de souvenirs en cinquante images et autant de textes aussi précis qu'émouvants. Une humble leçon d'humanisme.

Titre: Ce Jour-là. Collection Traits et portraits
Auteur: Willy Ronis
Editeur: Mercure de France
Autres informations: 184 p.

Luc Debraine, Samedi 3 février 2007

A découvrir Ce Jour-là, le livre de souvenirs de Willy Ronis, on saisit mieux ce qui attire les foules aux expositions parisiennes dédiées à Robert Doisneau (Hôtel de Ville, jusqu'au 17 février) ou à la photographie humaniste (Bibliothèque nationale, l'exposition vient de fermer ses portes). Ces regards fraternels sur la vie quotidienne sont à l'opposé du cynisme ambiant. D'un côté des enchanteurs, des passeurs de joies simples, et de l'autre l'inquiétude acide de l'époque. Entre ces deux partis, entre hier et aujourd'hui, pas d'hésitation, les amateurs de photographie populaire votent Doisneau, Boubat, Cartier-Bresson ou Ronis. Si leur noir et blanc reflète des temps révolus, s'il est puissamment nostalgique, et parfois mièvre, l'important est que ces images sont respectueuses des autres, sincères, humbles. Bienveillantes au premier sens du terme.

C'est à tout le moins l'impression distillée par le petit livre de Willy Ronis, qui aura 97 ans aux prochaines moissons. Le photographe, connu dans le monde entier pour ses scènes parisiennes ou provençales, ne prend plus d'image depuis 2002 (il a commencé en 1926, remarquez). Mais il a encore la mémoire exacte de ses instantanés, de ce qui est arrivé avant, pendant et après la prise de vue. Willy Ronis a ainsi choisi cinquante photos, certaines méconnues, en évitant les trop fameuses, icônes de la vie française qui ont été éditées à des milliers d'exemplaires en affiches ou cartes postales.

Willy Ronis écrit comme il photographie: avec simplicité et efficacité, en se concentrant sur des lumières, des moments, des anonymes qui traversent soudain le cadre, puis s'en vont aussitôt. Ce jour-là de 1947, il pleut sur la place Vendôme. Les cousettes qui travaillent dans les proches ateliers traversent en vitesse la place pour prendre leur pause de midi. Toutes sautent par-dessus une flaque qui reflète la colonne. La flaque, les jambes, la colonne, vite une photo! Ce jour-là de 1962, dans une montagne tessinoise, l'épouse de Willy Ronis prend la pose devant une maison de pierre, refuge minuscule du couple durant deux nuits, signe d'un amour qui sera emporté par la maladie d'Alzheimer de Marie-Anne, puis son décès. Ce jour-là de 1946, dans la rue Rambuteau, deux magnifiques vendeuses de frites disent mieux que personne ou mille mots l'après-Libération, l'optimisme et l'esprit frondeur retrouvés.

Ce jour-là encore, c'était cette fois au printemps 1945, une infirmière embrasse sur un quai de la gare de l'Est l'ex-prisonnier de guerre dont elle a pris soin pendant le convoi. Elle est aussi émue que lui. Pudique aussi. On ne sait pas très bien ce qui se noue ou dénoue entre eux. Willy Ronis imagine des scénarios, nous également, chacun part sur sa propre piste, les regardeurs par ici, les regardés par là. Ce jour-là enfin, en 1951 à Lens, se passe devant la maison d'un mineur silicosé de 47 ans, qui a l'air d'en avoir vingt de plus. Et Willy Ronis de s'indigner du destin parfois de ses photos. Celle-ci était destinée à un reportage sur le pays minier. Mais elle se retrouvera plus tard utilisée dans un magazine pour illustrer un article sur l'évangélisation du monde ouvrier.

Dans cette sorte d'autoportrait en cinquante photos, Willy Ronis livre sa méthode, faite de flâneries, de cueillettes de hasards, de concentration visuelle. «En général, je ne change rien à ce qui se passe, je regarde, j'attends. Simplement, à chaque photo, je suis impressionné par une situation, et j'essaie de trouver la bonne place où pouvoir placer mon instantané, pour que le réel se révèle dans sa vérité la plus vive. Il y a un réel plaisir à trouver la place juste, cela fait partie de la joie de la prise de vue, et c'est quelquefois aussi un tourment, parce qu'on espère des choses qui ne se passent pas ou qui arriveront quand vous ne serez plus là.»

Le photographe évoque également sa formation picturale, son attention aux cadres («J'aime particulièrement les bords de cadre, ils sont souvent très importants, ils font respirer la scène»), sa fascination pour les lumières qui éclairent soudain un visage dans les foules grises, les bistrots sombres, les bals populaires, une fabrique textile. La magie de la lumière.

Quitte à ce qu'il y en ait trop, de cette lumière, comme dans la forge d'une usine Renault en 1950: le clair-obscur dramatique de la scène indisposera la Régie, qui refusera la photo. Motif: «Cela ressemble trop à du Zola.»