samedi, septembre 05, 2009

Berry Republicain sur le Bourbonnais


lundi 31 août 2009 - 04:07
Bienvenue dans le bourbonnais !



Tout en marchant nous chevauchons quatre départements et trois régions. Entre Préveranges et Saint-Palais, il est toujours question d'éloignement et de frontières.

«Du côté du Magnoux on peut avoir un pied dans l’Indre, un autre dans le Creuse et ramasser des fraises dans le Cher » image Jean Bourdeau, à Préveranges. À Saint-Priest la source de l’Indre, à Préveranges le sommet de la région Centre (504 mètres au Magnoux). Ce jour-là, pas question d’apercevoir le Puy-de-Dôme ou le massif du Sancy. Trop couvert. Mais un peu avant Le Magnoux, un vaste panorama se dévoile sur la Vallée Noire. Un ciel gris bleu d’orage baigne notre descente sur Préveranges. Il met finalement la menace à exécution.
Il nous faut absolument mettre le marmot au sec pour la nuit. C’est un élu qui nous ouvrira in extremis la porte du gîte communal. Nous sommes lundi, il est huit heures du soir et je fais les courses dans un village de mille habitants. La supérette vient d’être reprise par des Lorrains motivés. La bonne fortune qui nous sourit à Préveranges est-elle due à des ondes bienfaitrices ?

Les chevaux, le tracteur et l’engrenage
Le territoire de la commune est hérissé de magnifiques calvaires en bois sculpté. Dans le bourg, un magnétiseur signale son officine avec une enseigne aussi grosse que celle d’un coiffeur. Ce village est d’une espèce coriace : « Le fait que Préveranges est loin de tout a maintenu une vie. J’entends par là la présence d’un pharmacien, d’un vétérinaire » me confirme Jean Bourdeau. Auprès de cet ancien agriculteur, je retrouve la même lucidité et ce sens de la formule que j’ai apprécié la veille chez William Beaujard, à Pérassay : « Autrefois, vous démarriez avec deux chevaux. Qui promettaient dix-huit ans de vie et de travail. Un jour vous décidez d’acheter un petit jeune pas trop cher. L’année suivante, une fois qu’il sait travailler, vous vendez le plus âgé au prix que vous avez payé le jeune. Vous tourniez avec le même capital. Quand vous achetez un tracteur, au bout de quelques années il est pratiquement sans valeur. Alors il vous faut retrouver du capital pour le remplacer […] Le fait d’avoir mis une somme importante sur un tracteur, ça oblige à l’utiliser à temps complet, c’est-à-dire à agrandir ses structures. Et on a mis le doigt dans l’engrenage. » La démonstration est limpide. La guerre, la nécessité et la mentalité de l’époque ont contrarié la vocation d’électricien de Jean Bourdeau. Il est resté à la terre. J’ai oublié de lui demander s’il n’avait pas une autre histoire de cueillette de fraises en rapport avec la frontière de l’Allier. George Sand mêle deux bourgs frontaliers dans la bouche du Tiennet des Maîtres Sonneurs : « J’étais content de voyager et de voir Saint-Palais en Bourbonnais et Préveranges qui sont de petits bourgs sur grande hauteur. »

Les Bourbonnais plus rationnels que les Berrichons ?
Nous sommes en Bourbonnais. À Saint-Palais, on me le confirme. Mais les Bourbonnais sont-ils vraiment différents des Berrichons ? Je titille mes interlocuteurs sur les croyances populaires : « Ici c’est quand même plus rationnel. Il y a des choses liées à la religion mais moins de surnaturel. Les sorts, les sorciers, j’ai rien connu de tout ça » assure René Denizot, ancien agriculteur au Verger. Une frontière culturelle avec le Cher ? La frontière linguistique avec la Creuse est plus nette. Les Berrichons de Préveranges ne comprenaient goutte, autrefois, quand ils se rendaient à la foire de Boussac. La langue d’Oc lèche Saint-Palais d’encore plus prêt : « Je ne comprenais pas toujours mon oncle qui était de Saint-Sauvier. On parlait aussi creusois à Treignat » poursuit René Denizot. Les habitants de Saint-Palais vont aujourd’hui faire leurs courses indifféremment à Préveranges ou à Boussac. Ici on n’a pas de sorciers mais la mémoire collective signale l’existence d’interminables souterrains. L’un déboucherait au château de Boussac. Il n’y a plus qu’à y installer un tapis roulant : ce serait pratique pour les courses.

Le vin du Midi arrivait à la gare de Saint-Marien

Arlette Philippon, Madame le maire, a réuni pour moi quelques anciens. Dont Michèle Chagnon, 84 ans, qui tient avec sa fille le Café des sports. Ses propres parents ont repris l’affaire en 1931, tout en faisant « un peu de culture ». Quelle meilleure jauge de ce que fut l’activité d’un village que les débits de boisson : « Avant-guerre, il y avait trois marchands de gros en vin. Les tonnes de vin arrivaient du Midi à la gare de Saint-Marien » situe Michèle Chagnon. Il faut replacer ce fort débit vineux dans le contexte d’une époque « où tout le travail était manuel ». Comme son patronyme le laisse supposer, Jean Lewandowski a des racines polonaises. Ses parents ont initialement émigré dans l’Aisne où ils ramassaient des betteraves » L’exode les a poussés jusqu’en Boischaut. Le travail, Après-Guerre, les a amenés dans l’Allier. En 1980, la ferme de Saint-Palais où Jean et son frère étaient métayers a été vendue. L’histoire de Jean Lewandowski fait écho à celle de Roger Boubet de Saint-Priest : lui aussi est parti travailler chez Dagard, à Boussac. Avant de se quitter, Jean Lewandowski me raconte encore cette anecdote liée à la période de l’Occupation : « Nous étions métayers à Ardenais, dans le Cher. Mon frère aîné, puis mon père, ont été déportés. Ma mère se retrouvait seule à exploiter 58 hectares. Un soir d’été, je suis allé voir nos prés de l’Arnon. Le foin était coupé. Tous les voisins, sans rien dire, avaient fait tout le boulot. » Superstitieux mais sympas les paysans berrichons.

L’Arnon, une rivière trait d’union

Cette partie du Bourbonnais et le Berry ont au moins un trait d’union : l’Arnon. Nous voilà en train de dévaler un chemin défoncé à travers les orties et les ronces. Le dénivelé annonce un passage délicat. C’est bien l’Arnon qui coule. Tout jeune. Le gué est une cuvette aux bords bien raides. Quand bien même Isis serait tentée, l’attelage ne passera pas. Je dételle, attache l’âne, je prends sa place et de l’élan. Impossible de hisser la carriole sur la berge. Isis, elle, refuse l’idée même de tremper un sabot dans l’eau. L’âne sur une rive, nous sur l’autre, la carriole plantée au milieu du gué. Le lieu-dit s’appelle, oppotunément, Le Patouillet. Nous n’avons parcouru que six kilomètres dans l’Allier et espérons, en dépit de notre situation peu reluisante, en voir un plus grand morceau.
Suite de ce carnet dimanche prochain

Julien Rapegno
julien.rapegno@centrefrance.com