lundi, juillet 14, 2008

« Georges Simenon. Les Obsessions du voyageur » lu dans Les ECHOS

Simenon avait la bougeotte.

Il a beaucoup voyagé, mais le voyage n'a jamais constitué le thème d'un seul de ses quatre cents livres. A l'inverse, ses reportages, publiés dans les années 1930, racontent par le menu ses périples. Le voyage, comme le déménagement, était pour lui - tiraillé entre le désir de l'enracinement et une incapacité à se fixer -, une douloureuse nécessité. L'écrivain a changé trente fois de domicile. « Chaque fois, le processus a été le même. J'ai commencé par sentir un vide autour de moi. Le paysage, les meubles, les visages entrevus dehors avaient cessé d'avoir un sens. » Sur le voyage, il tient des propos similaires. La déception est toujours au bout de la route. « En somme, à voyager, on se casse le nez ; on effeuille ses illusions. On pourrait peut-être dire sans trop exagérer qu'on voyage pour faire le compte des pays où l'on n'aura plus envie de mettre les pieds. »

Le père de Maigret était un drôle d'homme. « Echapper à l'enfermement tout en idéalisant l'enracinement, aller voir ailleurs si quelque chose est possible sans vraiment y croire, aimer le départ et détester l'arrivée, il y a tout cela dans la nature mobile d'un Simenon », observe Benoît Denis, l'un des meilleurs spécialistes de Simenon, dans le recueil consacré aux reportages de l'écrivain belge, rassemblés dans la collection « Voyager avec... », l'une des plus chics de l'édition française, créée par Maurice Nadeau.

Simenon a voyagé peu de temps, de façon ramassée, dans les années 1931-1935 puis en 1945-1946. Il s'approprie le monde sans vergogne : les canaux de France, la Belgique, les Pays-Bas, l'Allemagne, le cercle polaire, l'Egypte, le Soudan, le Congo belge, l'Afrique, l'Europe centrale, l'URSS, les îles Galapagos, l'Australie. Il publie ses reportages dans « La Gazette de Liège », « Le Petit Journal », pour payer ses voyages. Il adore les anecdotes, s'intéresse à tout : aux petites gens, au kémalisme, au communisme, aux prostituées. Il a une vision crépusculaire du vieux monde, il se méfie de l'Amérique, il voit dans le communisme une imposture. Dans la fiction, Simenon recherche l'épure, la neutralité. Dans ses reportages, il a un style nerveux, émotif, il multiplie les points d'exclamation et de suspension. Parce que, sans doute, il frémit à l'idée de découvrir ce qu'il appelle « l'homme nu », l'être humain dans sa vérité : le seul but de tous ces voyages harassants.
EMMANUEL HECHT

« Georges Simenon. Les Obsessions du voyageur ». Textes choisis et commentés par Benoît Denis, éd. La Quinzaine littéraire-Louis Vuitton, 313 pages, 26 euros.