mardi, décembre 16, 2008

JEAN MALAURIE, LE DEFENSEUR DES INUITS dans Paris Normandie






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JEAN MALAURIE, LE DEFENSEUR DES INUITS

Né en Allemagne d’une mère écossaise et d’un père fécampois, Jean Malaurie poursuit, à Paris et à Dieppe, son inlassable combatpour la défense du peuple inuit. Rencontre avec un homme de convictions, explorateur attentif, ambassadeur résolu.

Les gens bardés de certitudes, les scientifiques arrogants, le font hurler. En dépit de son extraordinaire parcours, de ses découvertes, des médailles et des diplômes entassés dans son appartement-musée au cœur de Paris et dans son appartement-vigie du front de mer de Dieppe, Jean Malaurie est un homme humble.Qui observe. Ecoute.Insiste pour qu’on regarde la nature, qu’on la vive, qu’on la comprenne et qu’on découvre qu’elle porte en elle quelque chose de divin, un génie, une force. « Je ne suis pas un homme de théorie.
Mais un témoin, un universitaire en quête de vérité, qui dit qu’on ne peut pas étudier l’homme en l’isolant de son milieu.

C’est comme si l’on voulait parler d’un paysan cauchois sans décrire sa ferme, sa terre…Impossible! Voilà pourquoi j’ai enseigné l’anthropogéographie », résume l’ethnologue et écrivain, fondateur il y a un demi-siècle d’une collection de référence: « Terre humaine » (Ed Plon). Son premier titre, « Les derniers rois de Thulé », immédiatement suivi de « Tristes tropiques » de son ami Claude Lévi-Strauss, constituait en 1955 un authentique événement éditorial. Avec la parution aujourd’hui, des Carnets de guerre de l’adjudant Cœurdevey, témoignage sans concession de la vie des embusqués d’une guerre que l’on a dit « Grande », la série approche son centième volume.Sans avoir rien abandonné en chemin, de son exigence ni de sa combativité. « Oui, Terre humaine est une collection de combat qui a affirmé dès ses premiers titres que la diversité des cultures est le trésor de l’humanité.Aujourd’hui, plus que jamais, il faut le défendre! », s’exclame Jean Malaurie. « Homme de la guerre », il est né en 1922 en Allemagne d’un père fécampois et d’une mère écossaise.« Une famille bourgeoise et catholique », dit-il de ce creuset, dans lequel se sont exaltés, sa curiosité, son esprit critique et son amour du verbe. Une volonté de fer, aussi.Il en fallait une pour s’élancer seul dans la nuit polaire.Soixante ans plus tard, qu’il se tienne face à la mer dans une ville de Dieppe « très attachante, mais qui a oublié qu’elle était jadis le port de grands explorateurs », ou qu’il navigue dans les souvenirs accrochés aux murs de son domicile parisien, Jean Malaurie n’a rien lâché. « Ma vie est une provocation! », s’exclame-t-il. Orphelin de père à l’âge de 17 ans, de mère à 21 ans, l’étudiant entre dans la clandestinité en 1943, lorsqu’il se soustrait au service du travail obligatoire et intègre l’armée des ombres. « J’ai appris à vivre avec de faux papiers, à agir et à me cacher.Avant tout, j’ai appris à dire non », explique cet esprit férocement indépendant, qui aime vivre seul et porte sur le monde un regard aigu. A la Libération, le futur chercheur s’inscrit en géographie et en sciences. Il participe en tant que géographe à deux expéditions françaises au Groënland dirigées par Paul-Émile Victor. Cependant celles-ci ne placent pas suffisamment, à son goût, l’homme au cœur de leur démarche. Il s’en détourne et entre au CNRS, le centre national de la recherche scientifique. Son esprit ouvert, constamment en éveil, l’invite aussi à écouter les bruits de la rue et la rumeur du monde. Tout l’intéresse.Il veut se forger une opinion. « J’étais très réservé quant aux positions des intellectuels toujours prêts à donner des leçons. J’ai donc voulu construire ma pensée par moi-même. C’est pour cela que j’ai fui l’Occident ». Il part vers le Grand Nord, en solitaire, étudier les pierres.Cette décision bouleversera le cours de son existence. « J’ai une dette immense envers les Inuit.Je ne la paierai jamais assez.L’année que j’ai passée à Thulé a changé ma vie », dit-il. « Là, j’ai vécu avec des hommes concrets, des pêcheurs, des chasseurs, qui vivent dans des conditions extrêmement difficiles. Chez les Inuit, j’ai saisi des réalités auxquelles je n’avais jamais pensé.Ils m’ont libéré, aussi, en me disant quelque chose du genre: oublie tes livres, les objets… Sois toi-même ! » En démographe, Jean Malaurie part en traîneau à chiens, visiter chacun des onze villages répartis sur 300 km².D’iglou en iglou, il recense ainsi leurs 302 habitants et établit la première généalogie de ce peuple le plus au nord de la terre. En géomorphologue, il lève une carte détaillée de la région, et découvre des fjords auxquels il est autorisé à donner des noms français. Le 29mai 1951, accompagné de l’Inuit Kutsikitsoq, il est le premier Européen à atteindre le pôle géomagnétique.Au retour, le 16juin, il découvre à Thulé une base américaine secrète pour bombardiers nucléaires. La population locale n’a pas été consultée.Seul étranger et témoin de cette opération ultra-secrète au cours de la guerre de Corée, il décide de s’engager pour la dénoncer publiquement.En 1955 sortent « Les derniers rois de Thulé », qui est encore aujourd’hui, avec vingt-trois traductions, le livre le plus diffusé au monde sur la culture inuit. Les missions s’enchaînent.Du Groënland à la Sibérie, le scientifique fonde une méthode rappelant que les peuples ne peuvent être compris dans leur histoire, leurs rituels, leur sociologie, que dans le cadre d’un environnement physique. Il devient le défenseur résolu des minorités. L’interlocuteur des états à Ottawa, Washington, Copenhague, Moscou…Et un ambassadeur de bonne volonté à l’Unesco, où il a été invité à préparer pour 2009 un projet de traité écologique et de défense des peuples pour l’Arctique. C’est là, à Uummannaq, qu’il inaugurera au printemps prochain un institut polaire de conservation et de diffusion de la culture inuit. Là aussi que, quand le moment sera venu, il veut être inhumé. « Face à la mer! »



FRANCK BOITELLE






Ses titres Président d’honneur de l’académie polaire d’Etat à Saint-Petersbourg. Sage des peuples du Nord (1992). Médaille d’or de la société arctique française (1990). Ambassadeur de bonne volonté pour les régions arctiques à l’Unesco (2007). Président d’honneur de l’Uummannaq Polar Institute (Groënland). Commandeur des Arts et des Lettres (2000), de l’Ordre national du Mérite (2002), de la Légion d’honneur (2005). Ses dates Naît le 22 décembre 1922 à Mayence. Débarque le 23 juillet 1950 à Thulé. Est le premier Français à atteindre le pôle géomagnétique Nord, le 29 mai 1951. Se marie le 27 décembre 1951 à Mlle Monique Laporte. Crée la collection Terre Humaine en 1955. Elu à la première chairede géographie polaire à l’EHESS Paris en 1957.

Article paru le : 14 décembre 2008