Willy Ronis dans le supplémént des" Echos"- Serie Limité
Willy Ronis en Bourbonnais juillet 1991- à Fourchaud Besson Photo CT "avec tous ses meilleurs voeux"
Willy Ronis : " J'ai saisi la vie ordinaire dans des moments extraordinaires "
[ 12/12/08 - Série Limitée N° 069 ]
A 98 ans, il est le dernier survivant du groupe des XV, qui comptait également Robert Doisneau et Edouard Boubat, et l'un des plus célèbres représentants de " la photographie humaniste ". Alors qu'il publie Nues, il me reçoit chez lui, à Paris, dans le XXe arrondissement. Le tic-tac d'une pendule rythme notre conversation.
IL A PHOTOGRAPHIÉ LE XXe SIÈCLE, DES GRANDES MANIFESTATIONS POLITIQUES...
F.T. : Ne trouvez-vous pas qu'esthétiquement les différences entre les classes ont eu tendance à s'estomper au cours du XXe siècle ?
W.R. : Si, bien sûr. Tout s'est raboté. On ne voit plus d'ouvriers en casquette, par exemple. Avec le prêt-à-porter, l'élégance s'est démocratisée, nous nous ressemblons davantage. Mais les problèmes fondamentaux demeurent.
F.T. : Il y a une injustice que personne ne dénonce, à laquelle vous devez être sensible en tant que photographe, c'est celle qui existe entre les femmes belles et les autres.
W.R. : C'est un scandale, en effet, qui ne cesse de me déranger. Lorsque j'étais amené à choisir une jolie femme, au détriment d'une autre, moins jolie, je me disais : " C'est quand même dégueulasse cette fatalité qui en ravale certainesà une situation dont elles doivent énormément souffrir ". J'avais un copain, dont je plaçais la moralité très haut, parce que, systématiquement, il choisissait pour maîtresses des femmes disgracieuses. Je le voyais comme un véritable bienfaiteur de l'humanité.
F.T. : Les femmes sont plus ouvertes que nous, prêtes à nous aimer pour notre humour, notre intelligence, notre réussite ou notre argent...
W.R. : Tandis que les hommes ont toujours la préférence pour la beauté. Ils déchantent très vite. Car l'enveloppe correspond rarement au contenu. Mais ils sont comme ça.
F.T. : Vos " Nues " ne sont pas du tout représentatives de votre travail. Vous qui avez toujours pris des photos sur le vif, là, vous faites poser vos modèles.
W.R. : Oui, sauf une, la plus célèbre. C'était un après-midi torride de juillet. Je bricolais au grenier. Je descends pour chercher une truelle. Et je vois ça : " Oh, ne bouge pas, lui ai-je dit, reste comme tu es ! " Et j'ai sauté sur l'appareil.
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F.T. : A 98 ans, le temps passe différemment, j'imagine. Or, ce temps est rythmé dans votre bureau par une pendule fort bruyante, qui sonne tous les quarts d'heure. Vous ne trouvez pas ça un peu dramatique ?
W.R. : Chaque jour, je pense à la mort. Ce n'est la faute ni de la pendule, ni du déambulateur avec lequel je suis obligé de marcher. La mort ne m'épouvante pas. J'ai eu une vie bien remplie. Je n'ai pas de regrets. Je suis en paix avec moi-même.
(1) page 125, (2) page 19. Nues, Éditions Terre Bleue.
FREDERIC TADDEI
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