mercredi, août 13, 2008

14 avril 1997 L'Humanité...

Article paru le 14 avril 1997

A Moulins, la gauche est interpellée par ses électeurs

De notre envoyé spécial.

LES propos de Jean-Claude Mairal ne sont pas tombés dans l’oreille de sourds. D’entrée de débat, le conseiller général et dirigeant du PCF de l’Allier ne vient-il pas d’affirmer que « pour changer, il faut faire preuve d’audace », qu’il est temps que « la gauche se bouge si elle veut créer un élan nouveau dans le pays, l’emporter face à la droite et faire reculer le Front national » ? Les deux cents personnes réunies ce vendredi soir dans la salle des fêtes de Moulins, électeurs de gauche pour la plupart, sont justement venus demander des comptes et des garanties contre la « désillusion ».

Les frustrations de l’après-mai 1981, attisées par les gouvernements Rocard et Bérégovoy, restent vivaces. Beaucoup le disent : pas question cette fois de glisser un chèque en blanc au fond de l’urne en 1998. Les trois responsables politiques présents - l’ancien député communiste du département, André Lajoinie, le porte-parole local des Verts, Jean Guilleret, et le représentant du Parti socialiste, Vincent Présumey - sont interpellés. « Le plan Juppé est un véritable oukase contre notre système de protection sociale, lance Jean-Pascal Pradel, militant CGT à l’hôpital de Moulins. Quels engagements forts prenez-vous pour le défendre ? » Fernand Tronchère, journaliste retraité de « la Montagne », accuse : « Nos politiciens sont coupés du peuple et n’agissent qu’à court terme. »

Un vent d’insatisfaction mêlé d’exigences souffle de la salle. Aussi, pour Jean Guilleret, qui dénonce tour à tour « la logique de guerre économique » et les dérives « productivistes », « il faut sortir de la préhistoire politique et sociale », mettre fin à « la bipolarité droite-gauche », l’essentiel étant que « chaque citoyen s’occupe des affaires de la cité ». De son côté, Vincent Présumey reconnaît que la gauche doit aujourd’hui « ouvrir une perspective ». Le PS, poursuit-il, « veut être réaliste tout en se montrant ferme sur des points fondamentaux ». Il insiste cependant sur le rôle du mouvement populaire « avant, pendant et après » les élections. « Faites pression sur nous, sinon tout cela ne sera que promesses », prévient-il.

Pour sa part, André Lajoinie constate qu’« il manque la construction d’une politique différente ». Il s’agit donc, selon lui, de définir « une base convergente, un socle minimum de gauche » porteur d’une « rupture nette », sans gommer les différences et les divergences. Il évoque plusieurs « éléments clés », comme la lutte contre la précarité, la nécessité de contrer la spéculation par une autre utilisation de l’argent, l’urgence d’un relèvement des salaires ou encore l’opposition à la « dictature financière » imposée par la monnaie unique européenne…

Le public reprend le micro et insiste. « Les propositions ne suffisent pas, déclare un militant écologiste. Si l’on ne montre pas que nous rêvons d’une société radicalement différente, on court au suicide collectif. » Deux rangs plus loin, un chômeur invite la gauche à « reconquérir son électorat populaire », à ne pas rester muette sur le « scandale » du RMI ou sur le poids des impôts locaux, car « c’est là-dessus que le FN fait ses voix ». Et puis, un homme s’adresse au PCF : « Peut-on réaliser une union nouvelle avec un PS qui, malgré son langage gauchisant, est le parti de la bourgeoisie ? » Un autre se tourne vers le dirigeant socialiste : « Quand je vous entends parler de réaliser votre projet à dépenses globalement constantes, je m’inquiète… » Des revendications émergent aussi : « Le monde du travail devrait avoir un droit de veto sur l’utilisation de l’argent dans les entreprises, notamment en matière d’aides publiques. Je suis d’accord pour voter, mais ensuite je veux pouvoir contrôler ! » Un syndicaliste cheminot interroge : « Quelle sera votre attitude vis-à-vis des nationalisations ? Et sur Maastricht qui instaure la mise en concurrence des services publics ? »

André Lajoinie revient alors sur la notion de radicalité. « S’exprime un désir de changement complet et profond, dit-il. Nous n’allons pas mettre de l’eau dans notre vin. Nous souhaitons le rassemblement des forces de gauche, progressistes et écologistes pour gagner en 1998, mais pas avec un programme au rabais. » Et de souligner que, en l’état, le PCF ne s’engage « sans doute pas assez auprès des gens les plus pauvres ». Son voisin socialiste, souvent placé sur le gril ce soir, revendique le droit à l’erreur pour son parti, tout en ajoutant que « tout le monde doit balayer devant sa porte ». Néanmoins, Vincent Présumey sort de sa manche un mot de Marx : « Un pas en avant des masses vaut mieux que mille programmes. »

REMI BROUTE