Serge Noyer, journaliste vaudois, a reçu le deuxième Prix Berner Zeitung. Il parle de la difficulté dans son métier de garantir l’accès aux sources sa
Le journalisme local,
entre distance et proximité
Serge Noyer,
journaliste vaudois, a reçu le deuxième Prix Berner Zeitung. Il parle de la difficulté dans son métier de garantir l’accès aux sources sans sombrer dans la complaisance
La montée en puissance d’Internet comme source principale d’information d’une majorité de citoyens reflète la crise que traverse la presse écrite, en Suisse comme dans n’importe quel pays. Une crise non pas conjoncturelle, mais existentielle. Née quasiment l’œil sur l’écran, la génération numérique dispose désormais d’une quantité de sources d’information accessibles gratuitement, qui plus est interactives, rapides et mélangeant le divertissement à l’information.
Reste que, pour toucher la plus large audience, tant les sites internet d’actualité que les quotidiens gratuits livrent de plus en plus une information suprarégionale, voire nationale, internationale ou peopolisante, le plus souvent formatée par les mêmes agences de presse. D’où une frustration grandissante de la part des citoyens de ne pas être assez informés sur le tissu politique, économique, associatif et culturel local. Pour l’habitant de Montreux, Vevey ou Pully, il est certes intéressant de savoir qui est le nouveau président des Etats-Unis et comment il compte sauver l’économie moribonde de son pays. Mais il lui est beaucoup plus important, en tant que contribuable, de savoir comment son propre argent est dépensé dans sa commune. De même qu’il lui est essentiel d’être informé sur les éventuels dysfonctionnements de ses autorités ou de connaître les grands projets de sa commune, ses orientations urbanistiques, ses prestations sociales ou ses objectifs de gestion.
Aussi, pour regagner une place de choix aux yeux de son public, la presse écrite doit lui livrer des informations qu’il ne trouvera pas ailleurs. En publiant par exemple des enquêtes inédites, permettant d’éclairer des dossiers importants sous un jour différent, de les approfondir et de les mettre en perspective. Et si ces enquêtes touchent à l’actualité locale, alors le pari de fidéliser un lectorat est à moitié gagné, tant la demande d’une telle information est grande.
A moitié seulement, parce qu’il reste encore à résoudre le problème fondamental auquel la presse locale est confrontée: sa crédibilité. Car pour produire une information de qualité, il faut du recul. Or, et tel est son dilemme, le journaliste localier ne peut accomplir son travail que grâce à la proximité et aux bonnes relations qu’il entretient avec l’establishment local. Mais cette proximité présente le risque pour le journaliste de perdre de vue un des aspects essentiels de sa mission, qui est de porter un regard critique sur les affaires qu’il relate. Il est plus difficile pour le localier d’informer sur les dysfonctionnements des élus locaux, qu’il ne manquera pas de croiser tôt ou tard, ou que parfois il tutoie et avec lesquels il fréquente les mêmes sociétés locales, que d’incendier les maîtres du monde dans des éditoriaux de première page. Par manque de courage ou de curiosité, ou par recherche de confort. D’où ce soupçon récurrent à l’encontre du localier de complaisance envers les notables, voire d’autocensure au sujet des magouilles et autres combines.
Alors, si de surcroît ces enquêtes inédites portent un regard incisif et sans concessions sur les affaires, si elles fouillent toutes les facettes du microcosme local, sans craindre de dénoncer les travers des autorités lorsqu’il y a lieu, les lecteurs en redemanderont, y voyant un gage de l’indépendance de leur journal et, par là même, de sa crédibilité.
Reste l’autre risque inhérent au journalisme d’investigation: être mis sur de fausses pistes, instrumentalisé par un groupe politique ou financier ou par un particulier. Pour l’éviter, outre l’importance d’établir une relation de confiance avec ses sources, il convient d’appliquer deux principes de base du journalisme: vérifier l’information et déterminer s’il y a un intérêt public à la publier. Et même recouper ses informations plutôt deux fois qu’une, sur le terrain local davantage encore qu’ailleurs, tant les conséquences d’une enquête bâclée peuvent être désastreuses à l’échelle régionale pour les personnes visées, en termes de discrédit jeté ou de carrières brisées.
Restent enfin les diverses pressions pouvant être exercées sur le journaliste ou son média, menaces de boycott des annonceurs publicitaires et autres menaces de plainte pour non-respect de la déontologie, atteinte à l’honneur ou tout autre crime de lèse-majesté. Mais elles seront rarement suivies d’effets si l’enquêteur fait correctement son travail.
La presse locale a donc encore un bel avenir, elle qui est trop souvent perçue comme étant à la botte du pouvoir ou comme simple caisse de résonance de la voix officielle. Mais à la condition qu’elle se profile sur ce terrain du journalisme de révélation, par opposition au «journalisme de validation» ou «journalisme de lendemain», selon la formule de Howell Raines, ancien rédacteur en chef du New York Times , ainsi reprise par Edwy Plenel, jadis son homologue au journal Le Monde : «Un journalisme qui attend, qui ne cherche pas, qui ne dérange rien ni personne, parce qu’il ne se bouscule pas lui-même.» Alors, la presse locale peut même se positionner comme un véritable acteur du débat, qui ne se contente pas d’alimenter ce débat, mais bien souvent, de le provoquer, en apportant des clés de lecture inédites et essentielles à la compréhension de dossiers sensibles.
La presse locale
est trop souvent perçue comme étant
à la botte du pouvoir
entre distance et proximité
Serge Noyer,
journaliste vaudois, a reçu le deuxième Prix Berner Zeitung. Il parle de la difficulté dans son métier de garantir l’accès aux sources sans sombrer dans la complaisance
La montée en puissance d’Internet comme source principale d’information d’une majorité de citoyens reflète la crise que traverse la presse écrite, en Suisse comme dans n’importe quel pays. Une crise non pas conjoncturelle, mais existentielle. Née quasiment l’œil sur l’écran, la génération numérique dispose désormais d’une quantité de sources d’information accessibles gratuitement, qui plus est interactives, rapides et mélangeant le divertissement à l’information.
Reste que, pour toucher la plus large audience, tant les sites internet d’actualité que les quotidiens gratuits livrent de plus en plus une information suprarégionale, voire nationale, internationale ou peopolisante, le plus souvent formatée par les mêmes agences de presse. D’où une frustration grandissante de la part des citoyens de ne pas être assez informés sur le tissu politique, économique, associatif et culturel local. Pour l’habitant de Montreux, Vevey ou Pully, il est certes intéressant de savoir qui est le nouveau président des Etats-Unis et comment il compte sauver l’économie moribonde de son pays. Mais il lui est beaucoup plus important, en tant que contribuable, de savoir comment son propre argent est dépensé dans sa commune. De même qu’il lui est essentiel d’être informé sur les éventuels dysfonctionnements de ses autorités ou de connaître les grands projets de sa commune, ses orientations urbanistiques, ses prestations sociales ou ses objectifs de gestion.
Aussi, pour regagner une place de choix aux yeux de son public, la presse écrite doit lui livrer des informations qu’il ne trouvera pas ailleurs. En publiant par exemple des enquêtes inédites, permettant d’éclairer des dossiers importants sous un jour différent, de les approfondir et de les mettre en perspective. Et si ces enquêtes touchent à l’actualité locale, alors le pari de fidéliser un lectorat est à moitié gagné, tant la demande d’une telle information est grande.
A moitié seulement, parce qu’il reste encore à résoudre le problème fondamental auquel la presse locale est confrontée: sa crédibilité. Car pour produire une information de qualité, il faut du recul. Or, et tel est son dilemme, le journaliste localier ne peut accomplir son travail que grâce à la proximité et aux bonnes relations qu’il entretient avec l’establishment local. Mais cette proximité présente le risque pour le journaliste de perdre de vue un des aspects essentiels de sa mission, qui est de porter un regard critique sur les affaires qu’il relate. Il est plus difficile pour le localier d’informer sur les dysfonctionnements des élus locaux, qu’il ne manquera pas de croiser tôt ou tard, ou que parfois il tutoie et avec lesquels il fréquente les mêmes sociétés locales, que d’incendier les maîtres du monde dans des éditoriaux de première page. Par manque de courage ou de curiosité, ou par recherche de confort. D’où ce soupçon récurrent à l’encontre du localier de complaisance envers les notables, voire d’autocensure au sujet des magouilles et autres combines.
Alors, si de surcroît ces enquêtes inédites portent un regard incisif et sans concessions sur les affaires, si elles fouillent toutes les facettes du microcosme local, sans craindre de dénoncer les travers des autorités lorsqu’il y a lieu, les lecteurs en redemanderont, y voyant un gage de l’indépendance de leur journal et, par là même, de sa crédibilité.
Reste l’autre risque inhérent au journalisme d’investigation: être mis sur de fausses pistes, instrumentalisé par un groupe politique ou financier ou par un particulier. Pour l’éviter, outre l’importance d’établir une relation de confiance avec ses sources, il convient d’appliquer deux principes de base du journalisme: vérifier l’information et déterminer s’il y a un intérêt public à la publier. Et même recouper ses informations plutôt deux fois qu’une, sur le terrain local davantage encore qu’ailleurs, tant les conséquences d’une enquête bâclée peuvent être désastreuses à l’échelle régionale pour les personnes visées, en termes de discrédit jeté ou de carrières brisées.
Restent enfin les diverses pressions pouvant être exercées sur le journaliste ou son média, menaces de boycott des annonceurs publicitaires et autres menaces de plainte pour non-respect de la déontologie, atteinte à l’honneur ou tout autre crime de lèse-majesté. Mais elles seront rarement suivies d’effets si l’enquêteur fait correctement son travail.
La presse locale a donc encore un bel avenir, elle qui est trop souvent perçue comme étant à la botte du pouvoir ou comme simple caisse de résonance de la voix officielle. Mais à la condition qu’elle se profile sur ce terrain du journalisme de révélation, par opposition au «journalisme de validation» ou «journalisme de lendemain», selon la formule de Howell Raines, ancien rédacteur en chef du New York Times , ainsi reprise par Edwy Plenel, jadis son homologue au journal Le Monde : «Un journalisme qui attend, qui ne cherche pas, qui ne dérange rien ni personne, parce qu’il ne se bouscule pas lui-même.» Alors, la presse locale peut même se positionner comme un véritable acteur du débat, qui ne se contente pas d’alimenter ce débat, mais bien souvent, de le provoquer, en apportant des clés de lecture inédites et essentielles à la compréhension de dossiers sensibles.
La presse locale
est trop souvent perçue comme étant
à la botte du pouvoir
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