Roger Blachon...in memoriam dans l'Equipe
Couverture de "la Soupe aux Choux" de René Fallet 1980 Denoel
"La soupe aux choux mon blaise ça parfume jusqu'au trognon, ça fait du bien partout où qu'elle passe dans les boyaux. ca tient au corps, ça vous fait même des gentillesses dans la tête. tu veux qu't'y dise: ça rend meilleur. " René Fallet
Roger Blachon est décédé mercredi à soixante-six ans des suites d'un cancer. Il fut un immense dessinateur et deux décennies durant, un pilier de L'Equipe Magazine.
Pour son âge, Blachon était grand. Plus que le commun des mortels de son temps en tout cas, ces mômes nés dans les années 40 et qui, entrant dans la vie, eurent plus souvent à mâchouiller des tickets de rationnement que la tétine des faméliques biberons du moment. Etre parti de rien et avoir dans ces conditions terminé à «1,86 m», soixante-six balais plus tard, pour cette génération là, évidemment, ça posait un bonhomme. Suffisamment même pour, ne pas avoir besoin aujourd'hui de rajouter de flagorneurs centimètres alors qu'on va porter son long corps dégingandé en terre et mettre sous cloche de verre au Pavillon de Breteuil, à Sèvres, à côté du mètre du même nom, son «âme puciste étalon».
Roger, Max, Blachon, dit «La Blache», «Rodgère», «Chon» ou tout simplement «Blachon», c'était selon, né le 30 juin 1941 à Romans, Drôme, honnête homme dans la vie, rugbyman au Paris Université Club dans sa jeunesse et seigneur de profession est donc mort. C'est bien dommage pour lui. Mais surtout insupportable à (sur)vivre pour «Mimi», femme de sa vie, et Antoine, fils chéri et artiste lui aussi. On pense à eux.
Cela énoncé, on ne va pas non plus s'apitoyer sur le sort de quelqu'un venant de s'échapper ainsi, fût-ce la première fois de sa vie et la dernière, pour son trépas. Il n'aurait guère apprécié. Car si, en fidèle troisième ligne «de devoir» qu'il fut, ne rechignant jamais à mettre son nez et quelques bons coups de souliers aux ténèbres d'une mêlée prétendument «ouverte», Blachon mena sa dernière bagarre avec grandeur, c'est un combat qu'il préféra garder pour lui. Au point qu'il s'arrangea pour taire à ses amis - ce qui fait tout de même un bon Stade Charléty débordant de partout Porte Gentilly à Paris - plusieurs étés durant la saloperie qui le bouffait, ne finissant par admettre qu'une fois les arrêts de jeu entamés qu'au fond il n'allait plus très fort. Comme si, sans doute, il avait craint qu'on le rapatriât trop tôt sur le banc de touche, pratique aujourd'hui fort répandue dans ce sport qu'il vénérait et qui l'insupportait infiniment. A peu près autant que le dopage, l'argent, la dictature de la technique, celles des cons, des malfaisants ou des lobbies, toutes ces choses et ces énergumènes, en somme, qui ont dévoyés selon lui l'esprit du sport et qu'il a croqués dans un album paru l'été dernier, "Rugby d'avant et d'après" (Editions Flammarion) qui restera comme son ultime message sacré.
«L'humour, où il abrite ses pudeurs les plus délicates et ses audaces de bon aloi, colorie ses armoiries qui conquièrent ceux qui l'approchent», avait écrit de lui, un jour, Antoine Blondin dans la préface d'un bouquin depuis devenu culte, "Blachon au dessus de la mêlée". Forcément, tout, en ces lignes, était déjà dit. Sauf, peut-être, qu'avant d'en arriver là, il n'avait pas chômé, son bachot en poche, une fois monté à la capitale pour y faire ses humanités. Elles durèrent trois années. Au lycée Claude-Bernard, le jour, afin d'y apprendre le métier de professeur de dessin. Le soir au Courrier de Lyon, repère de « brigands » du 7e arrondissement de Paris fréquenté de sommités les mieux intentionnées à son endroit, la nuit - du moins pour ce qu'il en restait - dans un dortoir de Jeanson-de-Sailly, rue de la Pompe où, moyennant quelques écus et à défaut d'un coup de blanc, on offrait encore en ce temps là le gîte aux démunis étudiants.
Maintenant, on fait quoi sans lui ?
Quand l'argent commença, maigrement, à rentrer au prix de deux aller-retour hebdomadaires Paris-Chartres en train pour y enseigner aux gamins l'art du trait et du bonheur, qui vont souvent ensemble, des amitiés scellées au long d'équipées nocturnes estudiantines l'aidèrent à améliorer son ordinaire. Les Cayzac, Brochand et autres Jacques Arnaud passés par HEC et devenus fils de pub lui refilèrent alors des petits boulots dont il s'acquitta si joliment qu'une campagne, une vraie, finit par lui tomber dessus. Elle mettait en scène «La vache qui rit ». C'est cet attachant et souriant bovin qui, une bonne fois pour toutes, finit par le faire remarquer. De Denis Lalanne, notamment, qui lui ouvrit alors les colonnes de sa ciselée chronique «Les interceptions» pour fourguer à L'Equipe son premier croquis publié dans la presse au couchant des «sixties».
Le labeur évacué, le dimanche, c'était rugby. En terre sainte à Charléty ou sur de plus reculés prés hérétiques aux confins du royaume. En première division d'abord puis en division 2 vers la fin de la décennie, mais toujours en grande pompe et en tenue d'apparat. Voire, dans les hautes circonstances, carrément et élégamment... à poil, comme au stade de Bègles en 1969 après la victoire contre Mauléon en finale du championnat de France de D2 où pourtant, à en croire la chronique rapportée le lendemain dans ce journal, il n'y avait pas eu de quoi oeuvrer à tant de jubilatoires effeuillages dès lors que tout l'après midi, «Blachon vint s'enferrer avec obstination dans la défense [basque] sans autre résultat que d'enterrer des balles qui eussent pu être négociées avec profit.»
Cette réprobation tombée de la plume du rustique Marcel Bordenave demeurera à jamais le seul et unique témoignage ayant fait reproche à notre homme de s'être une fois dans son existence arrangé avec la générosité. Car sur cette question les avis sont unanimes: Blachon a toujours préféré donner que recevoir. Il suffisait de demander.
Lorsque le Quartier Latin et Saint-Germain eurent donc enfin compris, assez vite il faut être juste, que ce type là avait du talent à revendre et qu'un de ses dessins était toujours bon à prendre, il n'était qu'à lui réclamer, du jour où il publia son premier recueil - "Cartoon party" - en 1977, cela n'arrêta plus. Les maisons d'édition des plus grands - Daudet, Queneau, Blondin, Fallet, Brassens, Boulanger - se bousculèrent, lui proposant d'ajouter sa touche de couleur aux mots de leurs auteurs. Et l'éditeur d'un géant, l'Irlandais James Joyce, alla jusqu'à solliciter sa sensibilité la plus intime pour illustrer un conte des plus sublimes, "Le chat et le diable". Blachon tint là son chef d'oeuvre. Plus d'un quart de siècle à émarger ensuite aux Humoristes Associés et deux décennies de rendez vous dans L'Equipe Magazine par là-dessus, voilà comment, en définitive, on se débrouille pour remplir une belle et grande vie. Et maintenant qu'elle et finie, on fait quoi sans lui? P.L.
A Mireille, son épouse, et à Antoine, son fils, L'Equipe présente ses condoléances les plus émues et les assure de son indéfectible et éternelle amitié.
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