dimanche, novembre 25, 2007

Ve Echos- VIP : Jean-Pierre Corniou* : " L'ère de l'immatériel n'a pas encore commencé "

MANAGEMENT - INTERNET -

Jean-Pierre Corniou* : " L'ère de l'immatériel n'a pas encore commencé "
[ 21/11/07 - 14H49 Enjeux-Les Echos ]








*Président d'EDS Consulting Services France, ancien directeur des systèmes d'information de Renault, ancien président du Club Informatique des grandes entreprises françaises (Cigref)
Enjeux-Les Echos: Quel est l'impact d'Internet sur le management ?


Jean-Pierre Corniou : Nous sommes dans un monde qui se transforme à une vitesse exponentielle. L'accès grand public à Internet ne date que d'une décennie à peine et pourtant, 18% de la population mondiale est aujourd'hui connectée. Le management s'en trouve transformé pour toutes les entreprises de la planète. Celles-ci étaient construites sur un mode centripète : tout convergeait vers le centre, où était concentrée l'information. Internet rend les entreprises centrifuges : elles se déplacent vers leurs clients. Les systèmes hiérarchiques sont traversés par des flux transversaux. Internet, c'est d'abord et avant tout la messagerie électronique. Avant, le courrier était annoté, révisé, renvoyé ; le parapheur était important. Ce rituel, qui imposait une certaine lenteur, est remis en question, et avec lui, tout le mode hiérarchique. De plus, grâce à Internet, on peut retrouver des déclarations faites il y a cinq ans. Cette transparence crée un monde nouveau, qui est le contre-pied d'un système reposant sur la maîtrise de l'information.
Enjeux: Avec le risque néanmoins d'une dictature de l'urgence...

J-P.C. : Effectivement, on est happé par le futur immédiat. La plupart des managers n'ont guère plus de 24 heures de visibilité sur leur emploi du temps. Je n'oppose pas un passé ringard à une modernité fulgurante. Il y a autant d'aberrations aujourd'hui qu'hier ; et en plus, elles se propagent plus vite ! Nous sommes dans un mode hybride : les réunions de service existent toujours, tout comme les repas d'affaires, les voyages, les séminaires. En même temps, on envoie des mails 24 heures sur 24, on fait des visioconférences... Nous restons dans un système centralisé même s'il y a des ruptures dans les modes d'organisation. Aujourd'hui, on travaille mal dans les entreprises. Il y a un énorme besoin de repenser les processus de travail. Malheureusement, il n'y a pas d'éducation collective sur ce sujet. On a laissé dériver un vaste système d'information non structuré livré sans mode d'emploi. Alors qu'on a énormément travaillé sur l'optimisation du temps industriel, cette réflexion n'a pas été menée sur le temps tertiaire. Or les cols blancs sont devenus les O.S. de l'information.
Enjeux: A quoi ressemblera le management de demain dans un tel contexte ?

J-P.C.: Il sera intéressant de voir l'arrivée dans les entreprises des générations nées après 1985 pour lesquelles la messagerie instantanée, le téléphone portable, les SMS, les forums, les chats, les réseaux sociaux sont naturels. Pour l'instant, ces outils ne sont pas reconnus comme des instruments d'entreprise. La deuxième évolution sera une fragmentation encore plus importante de la localisation des entreprises. Aujourd'hui, on travaille peu chez soi. 120.000 personnes se déplacent quotidiennement à la Défense, alors qu'elles n'ont pas toujours besoin d'être présentes physiquement à leur bureau. La mobilité va se développer. La technologie des l'information est exploitée aujourd'hui superficiellement, on ne sait pas encore à quel point elle va changer nos vies. L'ère de l'immatériel n'a pas encore vraiment commencé. Enfin et surtout, nous n'avons pas encore résolu la question du sens, de ce qu'on fabrique dans le monde de l'immatériel. La seule réponse disponible pour le moment est la suivante : on vend des jours/hommes. C'est insatisfaisant.
A paraître: La République de l'Internet, Dunod 2008

Propos recueillis par Claire Aubé